L'édito de Serge Molla - Violence cachée

Le 05 octobre 2011

Voici en vrac quelques cogitations suite à la projection de VOL SPECIAL de Fernand Melgar.

Face aux demandes réitérées de cinéastes, une volonté de transparence s’est mise à souffler depuis quelques années parmi nos autorités romandes et c’est tant mieux: droit de pénétrer dans le bureau d’un juge d’instruction - et c’est FACE AU JUGE de Pierre-François Sauter; de même dans un tribunal - et c’est PRUD’HOMMES de Stéphane Goel; autorisation d’entrer et de filmer dans un centre de requérants d’asile - et c’est LA FORTERESSE, puis à Frambois, lieu de détention administrative chargé d’appliquer la loi sur les mesures de contrainte - et c’est VOL SPECIAL. Même s’il faut les saluer, ces autorisations ne m’émeuvent pas dans la mesure où justement, dans tous ces lieux aux fonctionnements standardisés et policés, il n’y a rien à cacher.

Mais à partir de l’intrusion dans ces espaces jusque-là interdits, comment avec une caméra aller au-delà de ce que l’on nous donne à voir? Comment saisir l’inexprimable, l’indicible? Comment prendre la mesure de cette extrême violence enrobée dans la douceur des gestes d’humanité?

Depardon par exemple l’a fait de manière magistrale dans chacun de ses documentaires avec une approche à la fois respectueuse, sans concession et novatrice. De même Christian Frei avec WAR PHOTOGRAPHER suit le travail d’un photographe de guerre et réussit à en faire un film percutant contre la guerre.

Alors comment, à partir du quotidien d’un centre propre en ordre, où tout apparaît lisse, sans éclat, presque sans drame, où coulent la gentillesse, la bonhomie, l’empathie, comment dire et faire sentir tout l’avant et l’après de ces destinées d’hommes que l’on renvoie? Présenté comme un documentaire, VOL SPECIAL relève plutôt du simple témoignage sur la vie quotidienne à Frambois et les relations entre détenus et gardiens. Et l’on peut n’y voir que cela.

Les défenseurs de la cause des migrants refoulés applaudissent donc, puisque ce film les conforte dans leur combat. Mais les autres? Ils risquent bien de camper sur leurs positions en trouvant les gardiens trop gentils, les policiers trop polis, que cela coûte fort cher et qu’il n’y a qu’à…

Il faut relever la cohérence de Fernand Melgar, qui accompagne partout les projections de son film, suit le parcours de plusieurs réfugiés renvoyés, fait preuve de courage et d’engagement. Mais VOL SPECIAL me laisse un grand malaise et un sentiment de totale impuissance. Ce film va-t-il vraiment contribuer à changer les consciences, les comportements, les choix politiques?

A la place d’une observation qui se veut impartiale et d’un témoignage non critique, j’aurais préféré une prise de position qui «marque le film», qui aille au-delà du regardable et de l’acceptable par tous, avec un angle d’attaque qui creuse le sillon des failles, des manquements, des mensonges, des douleurs, pour révéler la face obscure et cachée du malheur.

Anne-Béatrice Schwab (CF 643)