L'édito de Antoine Rochat - Les temps changent, la critique cinématographique aussi…

Le 12 septembre 2012

Les critiques de films publiées par Télérama font partie de celles qu’on lit toujours avec plaisir et intérêt. Et si les deux petits «smiles» à la figure grimaçante («bof» et «hélas») ont été remplacés il y a quelques mois par un visage moins rébarbatif («je n’aime pas»), les analyses de films de l’hebdomadaire français restent parmi les plus pertinentes qu’on puisse rencontrer. On relèvera à ce propos que, bon an mal an, un bon tiers de tous les films visionnés par Télérama ne passent pas la rampe. Un pourcentage d’avis négatifs qui est - sans complicité aucune! - rigoureusement le même que celui de Ciné-Feuilles. On ajoutera qu’on retrouve une proportion identique de «laissés-pour-compte» dans les petites étoiles distribuées par Le Temps/Sortir.ch

Ailleurs, en revanche, l’état des lieux est différent: le Guide TV Cinéma d’un grand quotidien vaudois a procédé tout récemment à des mesures draconiennes de rétrécissement de son espace critique (de 6 pages consacrées au cinéma, il a passé à 4). Et l’on constate que 80 à 90% des avis qui s’y expriment vont désormais dans le sens de films «pas si mal», «intéressants», «excellents» ou «chefs-d’œuvre» (sic). Les temps changent, la critique aussi...

Autre signe de changement: à côté de ce que l’on appelle la critique traditionnelle, une forte concurrence se manifeste. Les «blogs» se multiplient, se professionnalisent, et les maisons de distribution en profitent (bandes annonces, extraits, interviews) pour faire leur publicité. Facebook et divers sites accueillent les remarques de tout un chacun. Le futur spectateur-consommateur s’y retrouve-t-il? L’image, certes, est gratuite, et l’échange avec autrui facilité. Mais si de telles modalités de communication entraînent au mieux une forme de démocratisation de la critique, elles peuvent aussi semer une sacrée pagaille. La démarche se banalise, la pub et la promotion s’insinuent partout, le bavardage et les jugements à l’emporte-pièce prennent le pas sur l’analyse.

Aujourd’hui, l’importance relative du cinéma - dans les loisirs, la culture et la société en général - a diminué. Le 7e art ne se limite plus, on le sait, à ce qui est projeté dans les salles obscures: on regarde les films chez soi, sur la télé câblée, sur l’ordinateur, et l’on achète beaucoup de DVD. La critique de cinéma doit peut-être s’adapter, mais elle doit surtout continuer à jouer son rôle, en amont de tous ces cheminements divers, en s’attachant à mettre en lumière les faces cachées d’un cinéma aujourd’hui multiforme, en l’analysant, en aidant le spectateur à trier, à choisir. En se référant aussi à un point de vue, quitte à prendre le box-office à rebrousse-poil. Ciné-Feuilles s’efforce d’aller dans cette direction-là, avec une certaine exigence, en se montrant attentif aux diverses mutations qui se profilent.

Antoine Rochat (CF 664)