L'édito de Adèle Morerod - « Il y a les films que l’on a vus et ceux que l’on pourrait voir »

Le 24 octobre 2015

Qui n’est pas déjà tombé sur une de ces listes qui établissent les « grands » films de l’histoire du cinéma ? Qu’elles soient produites par l’industrie elle-même, comme celle du BFI (British Film Institute), ou qu’elles donnent lieu à des ouvrages complets comme le célèbre Les Mille et un films à voir avant de mourir, ce sont toujours les mêmes œuvres, bien sûr à quelques exceptions près, qu’on y retrouve.

Ainsi, qu’on soit néophyte ou cinéphile, on a en tête les films qui comptent, ceux qui font le 7ème art, de Casablanca à Taxi Driver, des Sept samourais à Rome, ville ouverte.

Mais concrètement, qu’est-ce qui fait un « grand » film ? Selon quels critères ce titre d’honneur est-il attribué ? La question de la réception, critique et publique, entre bien sûr en compte. Il faut également que cette reconnaissance perdure. En effet, des films disparus, oubliés ou négligés, il n’est pas nécessaire de faire cas. Cependant, la simple réussite ne suffit pas. Un film se doit d’incarner quelque chose, aux yeux de son époque, aux yeux de la postérité. Que ce soit par un message à portée générale, la captation d’un temps ou d’un événement significatif, il s’adresse ainsi à tout le monde. Enfin, car sinon à quoi bon choisir le cinéma, une certaine qualité esthétique est demandée, une utilisation intelligente, frappante, sensible des nombreux moyens dont dispose le médium cinématographique, et par conséquent souvent aussi un auteur reconnu.

C’est seulement une fois toutes les cases cochées que l’objet filmique atteint le titre tant désiré de « grand »  film. Construit, façonné, alimenté par les discours qui entourent depuis toujours le cinéma, un tel type de sélection a évidemment son importance, d’une part culturellement en inscrivant dans notre mémoire commune ces œuvres-clés, d’autre part historiquement en témoignant des différentes étapes du média cinéma au cours du XXème  siècle – et on l’espère de bien d’autres encore. Toutefois, justement parce qu’elle est soumise aux variations de regards qu’une société pose sur toute production artistique, quelle pertinence accorder vraiment à cette classification ? Pourquoi La Règle du jeu et pas La Bête humaine, tous deux de Renoir ? Pourquoi Wilder et pas Cukor ? Et même, pourquoi Citizen Kane mais pas The Breakfast Club ?

Un film c’est tout d’abord et avant tout la possibilité d’une rencontre, la découverte d’un univers, l’émotion d’un geste. C’est rester à jamais émerveillé devant l’apparition de Laura dans le film du même nom, mais c’est aussi ne jamais se lasser de voir Heath Ledger chanter "Can’t TakeMyEyes Out of You" dans Dix raisons de te haïr. C’est vibrer à chaque mot du discours final du Dictateur, tout comme participer aux péripéties de Audrey Hepburn et Cary Grant dans Charade. Il n’y a parmi ces exemples pas de film qui ne soit plus grand qu’un autre.

Il y a les films qu’on a vus et qu’on oublie. Et puis, il y a les films qui frappent au cœur et participent dece que nous sommes. Ceux qui nous emportent, nous accompagnent, sont les seulsqui comptent à la fin.

« Je crois que plus que tout autre art, le cinéma est l’art propre de l’amour. » André Bazin

Adèle Morerod