L'édito de Philippe Thonney - Chacun ses goûts

Le 01 novembre 2017


Après Jean Rochefort, Claude Rich, Gisèle Casadesus et bien d’autres, la disparition de Danielle Darrieux a ajouté un nouveau nom à l’hécatombe de 2017, et emporté ce qui était le plus long chapitre vivant de la mémoire du cinéma français.

Elle tourna en effet son premier film en 1931, et il y en eut une centaine jusqu’en 2010. Une carrière d’une immense longévité, jalonnée de retrouvailles régulières avec des cinéastes comme Julien Duvivier, Marcel Carné ou Claude Autant-Lara, qui furent des metteurs en scène renommés et de grand talent en leur temps, avant d’être éclipsés et scandaleusement insultés par les représentants de la Nouvelle Vague, et qui ont été heureusement redécouverts et réhabilités depuis. Rappelons qu’elle eut également une petite carrière internationale avec Billy Wilder ou Anatole Litvak, et qu’elle fut très active au théâtre. Et que, comme un événement prémonitoire, sont ressortis en DVD depuis quelques temps beaucoup de ces vieux films, dont plusieurs avec Darrieux en vedette.

On peut considérer comme un piquant clin d’œil du destin le fait que, en même temps que disparaît cette représentante de la mémoire du cinéma, sort Le Redoutable, sur Jean-Luc Godard. Car Danielle Darrieux, par son époque et surtout les metteurs en scène qui l’ont fait travailler, représentait tout ce que Godard et ses compagnons de la Nouvelle Vague détestaient, et ont tenté d’exterminer. Un cinéma qu’ils considéraient comme poussiéreux, inintéressant et qu’il fallait absolument dynamiter. Claude Chabrol est d’ailleurs le seul de ces jeunes loups iconoclastes qui ait engagé la comédienne en lui donnant un petit rôle dans Landru. Cette attitude est une tache indélébile sur la Nouvelle Vague. En 1960, Godard écrivit dans les Cahiers du cinéma une lettre ouverte à Duvivier, Carné et d’autres en expliquant qu’ils n’avaient rien à faire dans le cinéma, qu’ils ne savaient pas comment en faire et que leurs œuvres seraient vite oubliées.

Heureusement qu’il avait tort, car aujourd’hui, revoir par exemple Marie-Octobre de Duvivier, un somptueux huis clos brillamment mis en scène et magnifiquement interprété, est un pur moment de bonheur. Quant à Truffaut, qui lui aussi avait la dent très dure contre ses prédécesseurs, l’une de ses plus grandes réussites artistiques et critiques fut Le Dernier métro, un film qui, par son écriture, son aspect linéaire, narratif et soigné, était à l’opposé du style de la Nouvelle Vague, et donc un film qu’il aurait probablement lui-même vomi 30 ans plus tôt. Il n’est pas question de nier l’importance et parfois l’immense talent de ces cinéastes, mais il faut regretter leur attitude envers ceux qui les avaient précédés. D’autant plus que, pour finir sur une opinion personnelle du soussigné, beaucoup de ces films antérieurs à la Nouvelle Vague résistent généralement bien mieux au temps que ceux réalisés par les critiques assassins des Cahiers du cinéma.


Philippe Thonney