L'édito de Philippe Thonney - Édito

Le 27 janvier 2021

«Anticiper le malheur, c’est le vivre, éventuellement, deux fois. C’est une attitude qui n’est pas très productive.» (Jean-Pierre Bacri)


Il y eut De Flers et Caillavet (au théâtre) ainsi qu’Erckmann-Chatrian (en littérature), deux duos aujourd’hui oubliés; au cinéma, Billy Wilder et I. A. L. Diamond; en littérature policière, Boileau-Narcejac. Voici plusieurs exemples d’auteurs ayant trouvé leur alter ego, leur «jumeau littéraire», leur permettant de créer une œuvre importante à quatre mains. Et il y eut aussi un couple: Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri.

Les deux larrons ont bien mérité leur succès, en écrivant des scénarios ayant fait les beaux jours du cinéma et du théâtre. Leur plume, acérée, drôle, pertinente, humaine, se concentra sur les sentiments. Leurs héros sont des gens ordinaires, parfois doux, parfois gentiment névrosés, toujours justes et touchants. Les triomphes de Cuisine et dépendances, Un air de famille, On connaît la chanson, Smoking/No Smoking, installèrent Jaoui et Bacri, il y a une trentaine d’années, au panthéon des auteurs contemporains populaires. Ils furent aidés, il est vrai, par des cinéastes chevronnés et des acteurs enthousiastes, mais ces œuvres portent réellement leur marque. Citons encore Le Goût des autres ou le récent Place publique.

Il nous paraissait important de rendre ici hommage à cet auteur, mais aussi à ce bel acteur qu’était Jean-Pierre Bacri, récemment décédé à 69 ans. Un visage familier de nos écrans, même s’il ne fut jamais seul en haut de l’affiche, ayant toujours privilégié les films choraux ou collectifs. Un bougon amusant, un râleur touchant, qui, évidemment, cachait une immense tendresse et de profondes failles par cette attitude ronchonne, autant dans la vie que dans ses personnages. En dehors de son travail avec Agnès Jaoui, et pour ne faire qu’un choix déchirant de trois films, citons Mort un dimanche de pluie de Joël Santoni; Le Grand Pardon d’Alexandre Arcady; et un coup de cœur pour le formidable Mes meilleurs copains de Jean-Marie Poiré.

Nous nous associons aux nombreux hommages qui lui sont rendus depuis quelques jours, et nous réjouissons au passage que le cinéma soit, en réalité, une fabrique d’immortels.


Philippe Thonney