L'édito de Kim Figuerola - Du ring à l’écran: le corps-à-corps de deux arts

Le 30 octobre 2024

Dépourvu d’originalité et sans grand intérêt, Challenger (2024) de Varante Soudjian confirme pourtant l’omniprésence d’un thème au cinéma: la boxe. Depuis Men Boxing (1891) de William Heise et William Kennedy Laurie Dickson, un lien indéfectible s’est tissé entre le «noble art» et le septième art. Cet essai cinématographique de quelques secondes inaugure ainsi la longue histoire de la représentation de ce sport sur grand écran. Une représentation tant cinégénique et dramaturgique qu’elle pénétrera divers genres. Du comique au drame, du film noir au documentaire. Le ring métaphorisant la scène de la vie, la boxe au cinéma évoque les combats et les séquelles tant physiques que psychologiques, et mobilise de ce fait des questions esthétiques, sociales et idéologiques.

À titre d’exemples, la séquence de boxe de Les Lumières de la ville (1931) de Charlie Chaplin convoque le burlesque pour dénoncer les inégalités sociales. Les inégalités raciales sont quant à elles «criantes» dans The Great White Hope (1970) de Martin Ritt qui, à travers le destin de Jack Johnson (premier boxeur noir de l’Histoire) visibilise le racisme dans l’Amérique du début du 20e siècle. Une problématique bien connue du légendaire Mohamed Ali qui s’est saisi de la boxe comme vecteur de lutte contre l’oppression. When We Were Kings (1996) de Leon Gast et Ali (2001) de Michael Mann rendent compte à la fois de ses prouesses sportives et de son engagement politique. Un double hommage exprimé par Gast avec le retour de l’«ancien esclave noir», mais en champion, sur ses terres d’origine (au Zaïre en l’occurrence), et par Mann, avec la démonstration de son humanité. D’autres tensions sociopolitiques sont également abordées. Dans The Boxer (1997) de Jim Sheridan, où Daniel Day-Lewis incarne Danny Flynn, ancien membre de l’IRA qui se convertit à la boxe dans une Irlande du Nord confrontée aux affrontements et actions terroristes. Dans Rocky IV (1985), où un Balboa bodybuildé (Sylvester Stallone) combat un Drago tout aussi bodybuildé (Dolph Lundgren) en pleine guerre froide. Une lutte qui oppose deux visions du monde et du sport. La boxe est aussi féministe dans Girlfight (2000) de Karyn Kusama. Ou polémique dans Million Dollar Baby (2004) de Clint Eastwood et la question de l’euthanasie. Clairement parcellaire, ce répertoire sur la boxe au cinéma ne peut se clore sans évoquer l’emblématique Raging Bull (1980) de Martin Scorsese. Un portrait de Jake LaMotta (brillant Robert De Niro) dont l’impact des coups de poing, par l’usage du Steadicam, d’un montage méticuleux et des effets sonores sophistiqués, a traversé l’écran.

Le cinéma met ainsi en évidence le combat de boxe comme lieu où se cristallisent les vicissitudes humaines. Une métaphore des rapports sociaux et de pouvoir réduits à leur pure physicalité. Et dans le champ-contrechamp, dans l’alternance des plans, voire dans le hors-cadre, les corps des boxeur·euse·s sont sublimés ou mis à mal. Victorieux ou misérables, faits de texture et de chair, d’affect et d’ombre, le médium cinématographique ne cessera jamais de les «malléer».