Il était une fois un ciné-club lausannois…

Le 15 avril 2016

Retour en arrière sur les années 1945-1960. Critique de cinéma et essayiste, conservateur de la Cinémathèque de Toulouse, Raymond Borde a très bien résumé la période cinématographique des années 1945-1960 : « L’année 1946 a été, dans toute l’Europe, celle du triomphe des ciné-clubs.

Ils se multipliaient, ils gagnaient les petites villes, ils répondaient au besoin d’effacer les privations du temps de guerre et de retourner à l’âge d’or du cinéma. Pour les cinémathèques, ils représentaient lecontact avec le public et une fenêtre ouverte sur le monde. (…) On a du mal à réaliser combien le débat était brûlant au lendemain de la guerre. Ciné-clubs, cinémathèques : même combat. Il y avait là une honnêteté profonde et un besoin d’action commune, de culture de masse, de progrès social qui était sans doute une illusion, mais qui a fait de cette époque, comme le Front Populaire ou le Printemps de Prague, un moment privilégié de l’Histoire » (Raymond Borde, Les cinémathèques, 1983).

MaisonPeupleUn ciné-club naît à Lausanne en 1946. On ne saurait en parler sans citer quelques noms, ceux de Claude Emery, de René Favre, de René Dasen et quelques années plus tard de Freddy Buache bien sûr, mais il y a encore beaucoup d’autres personnes qui sont à l’origine du Ciné-Club de Lausanne (CCL). Un ciné-club qui se proposait de réunir tous les amateurs de bon cinéma et de leur faire découvrir, en séances privées, les «classiques» du 7e art. Les Archives cinématographiques suisses se trouvaient alors à Bâle et elles stockaient à l’époque tout ce qui existait dans le domaine. Elles accepteront de louer des copies au CCL et les premières projections auront lieu à la Maison du Peuple (à la Rue de la  Caroline, à Lausanne, là où sera construit plus tard la salle de l’Athénée) : c’est là que les cinéphiles purent découvrir, dès 1946 et parmi d’autres films, A nous la liberté (René Clair), Naissance d’une nation (David W. Griffith), M. le Maudit (Fritz Lang) ou Un chien andalou (Luis Bunuel). Et c’est là que le CCL et la future Cinémathèque suisse vont s’associer et nouer d’étroites relations.

« Cette association, dit Freddy Buache, répondait à de profonds désirs, perceptibles dans toutes les classes sociales. Elle attirait non seulement les jeunes impatients d’explorer un monde inconnu, mais aussi des gens d’âge mûr qui souhaitaient revoir les œuvres du passé, les muets russes et allemands ou les films des cinéastes français d’avant-guerre : ceux de Vigo, dont Zéro de conduite restait interdit par la censure, et surtout de Renoir. (…) Les soirées et les après soirées de projections, à la Maison du Peuple, conféraient une vitalité extraordinaire à la vie intellectuelle de Lausanne. Chacun, sincèrement convaincu d’œuvrer à la transformation du monde, y tissait des réseaux fraternels en communiquant à ses voisins ses goûts et ses dégoûts ». (Freddy Buache, Derrière l’écran, 1995)

CCL et Cinémathèque suisse

Au cours de la saison 1947/48,  les échanges avec les Archives cinématographiques bâloises se poursuivent et le CCL obtiendra, quelques années plus tard, le transfert à Lausanne de tous les films déposés à Bâle (1949). En quelques mois l’histoire du CCL va se lier avec celle de BuacheFreddy2  l’«Association Cinémathèque suisse» qui voit le jour en 1948. Une collaboration permanente et une complicité s’établissent avec un objectif quasi commun, celui d’explorer un monde nouveau et d’œuvrer à sa transformation. Avec le désir aussi de revoir des œuvres du passé. Les cinéphiles de l’époque se rappellent les initiatives originales des deux associations, comme celle, dès 1950, d’organiser des traversées en bateau jusqu’à Evian pour contourner la censure vaudoise (le chroniqueur de Ciné-Feuilles se rappelle avoir vu sur la côte française, en 1959, Les Tricheurs, de Marcel Carné).
En 1950 est inaugurée officiellement la Cinémathèque suisse, et Freddy Buache, membre du CCL, en reprend la direction l’année suivante.

Dans les années 60

Vingt ans plus tard le contexte a changé : les ciné-clubs rencontrent la concurrence des cinémathèques, des cinémas d’art et essai et des salles commerciales. A Lausanne apparaissent d’autres ciné-clubs : celui de l’Université par exemple, qui se développe dans les années 50, organisant lui aussi des sorties hors du canton (le soussigné garde le souvenir d’être allé en Valais voir des films d’Ingmar Bergman non programmés en pays de Vaud…). On citera aussi le Cercle d’Etudes Cinématographiques, créé par Maurice Terrail, et qui fête aujourd’hui sa 50e année d’existence.

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Le CCL va rencontrer par la suite quelques difficultés de location de salles : les cinéphiles se rappellent avoir vu, par exemple, plusieurs films célèbres ou originaux lors de séances mémorables au Bio (au bout de la rue St.-Laurent), un ancien et petit cinéma lausannois par ailleurs spécialisé dans les westerns ! On est allé dans d’autres lieux aussi (studio Montchoisi, par ex.), mais le Ciné-Club de Lausanne se verra bientôt contraint de transmettre ses clés à la Cinémathèque. Les projections se dérouleront dès lors (on est en 1966) à l’Aula du Collège de Béthusy : on y découvrira L’Âge d’or, de Bunuel, et de grands classiques ou des films qui avaient échappé aux circuits commerciaux. Le CCL disparaît à ce moment-là, mais la Cinémathèque suisse reprend alors son cahier des charges, avec une activité de plus en plus importante, garante du passé et de l’avenir. Et les autres ciné-clubs ?

On pourrait parler aussi de tous les ciné-clubs de Suisse romande (a fortiori de Suisse allemande !) qui sont nés dans les années 60. Ils sont nombreux, chacun a son histoire; certains existent encore, on y reviendra…

Antoine Rochat