La figure du pasteur au cinéma
Le 15 septembre 2006
S’il est un personnage particulier du septième art, c’est celui de l’ecclésiastique et notamment du pasteur. Le cinéma français lui a accordé une large place en écho à la littérature, voir par exemple La Symphonie pastorale (1946) d’André Gide réalisé par Jean Delannoy (1908–) ou le Journal d’un curé de campagne (1950) de Georges Bernanos réalisé par Robert Bresson (1907–1999). Mais c’est tout particulièrement le cinéma nord-américain qui en présente les plus intéressantes figures.
Qu’il y apparaisse dans le genre western ou le drame, le pasteur incarne par sa fonction des valeurs dont la trame révèlera l’intégrité ou la fausseté. Il en va par exemple de LA NUIT DU CHASSEUR (1955) de Charles Laughton (1899–1962) qui tout à la fois concentre, avec une fameuse séquence montrant les mains du faux prédicateur tatouées respectivement des mots « haine » et « amour », une vision manichéenne et la troublante affirmation que Caïn et Abel demeurent indissolublement liés.
Toutefois, si certains scénarios s’en tiennent aux clichés – pour exemple SIRENES (1994) de John Dugan (1949-) – et se contentent d’interroger leur personnage sur le plan de la morale, d’autres auscultent avec plus d’attention ces hommes que Dieu semble habiter. C’est le cas de la réalisation de John Huston (1906–1987), LA NUIT DE L'IGUANE (1964), dans laquelle Richard Burton incarne un pasteur à la dérive qui réalise la nécessité de « bâtir notre nid dans le cœur de l’autre, plutôt que de choisir entre la chair et l’esprit. Et voici que l’on passe de valeurs peu ou prou incarnées ou de l’attitude inhérente à leur fonction au combat intérieur de ministres aux prises avec leur vocation, voire même aux images de Dieu dont ces pasteurs sont (in)consciemment porteurs. Dans L’AVENTURE DU POSEÏDON (1972) de Ronald Neame (1911–), un prédicateur fougueux (Gene Hackman) dénonce la religion opium du peuple ; ce film catastrophe délivre même un message qui s’inscrit dans la mouvance des théologies de libération où les êtres sont appelés à prendre en main leur destin tout en confessant avec vigueur leurs convictions religieuses.
Plus intéressant encore, l’essai d’un Clint Eastwood (1930 –) qui, avec LE CAVALIER SOLITAIRE (1985) offre le saisissant portrait d’un « preacher », un étrange personnage christique qui fait aussi bien tomber les masques qu’il fait mordre la poussière à ceux qui ne croient qu’au lucre et au pouvoir. Pourtant – et c’est là toute la force du film –, ce visiteur sans nom qui ne fait que passer ne délivre pas de message ; il est un révélateur par sa façon d’être, et la vérité révélée est suffisamment forte pour souligner la complexité des êtres et attester combien les aspirations profondes sont plus riches et fécondes que toute morale.
Le prédicateur
Enfin, c’est parfois le prédicateur, l’orateur investi d’une autorité particulière, qui est mis en avant, même s’il s’agit d’un second rôle. C’est par exemple le cas du père Mapple dans MOBY DICK (1956) de John Huston qu’Orson Welles incarne avec une profonde gravité mêlée de tendresse ou avec HALLELUJAH (1929) de King Vidor (1894 –1982) au moment où le cinéma muet cède la place au parlant. Dans ce chef-d’œuvre qui se situe au cœur d’une communauté afro-américaine, le réalisateur fit du « black preaching » (prêche noir mêlant génie oratoire, théâtre, chant, danse et hystérie collective) le pivot d’un film très courageux pour l’époque.
Trois films européens apportent un éclairage sensiblement différent. Ainsi Alain Resnais (1922-) relève le défi d’aborder la question de la résurrection avec L’AMOUR A MORT (1984). Ce film intimiste présente quatre personnages, dont un couple de pasteurs, confrontés, dans leur existence personnelle à la mort, à l’angoisse et à l’espérance qu’elle suscite. C’est également l’homme ordinaire qui retient l’attention du réalisateur danois Lone Scherfig (1959-). ITALIAN FOR BEGINNERS (2000), s’intéresse en effet à la façon dont un pasteur reprend peu à peu goût à l’existence après le décès de sa jeune épouse. Quant au long métrage français de Jean-Louis Lorenzi, LA COLLINE AUX MILLE ENFANTS (1993), il s’inspire librement de l’histoire de la région du Chambon-sur-Lignon et de l’action menée par le pasteur André Trocmé pour sauver des enfants juifs de la tourmente nazie.
Mais si, au fil des ans, le personnage n’est plus repérable à la première image, il a gagné en intériorité, en complexité. Il est devenu à cet égard tout à la fois un homme comme les autres et un être qui interroge par sa fonction, en dépit ou au-delà même de son propre comportement. Aussi n’est-ce pas fortuit qu’un jeune cinéaste suisse romand, Lionel Baier (1975–) ait choisi de réaliser sans complaisance le portrait documentaire d’un pasteur réformé, son père, CELUI AU PASTEUR (2000). Avec cet homme qui y affirme que « le pasteur est un acteur qui joue son propre rôle », la boucle est bouclée. Délibérément ou non, l’image du pasteur témoignera toujours du rapport qu’une société entretient avec le religieux.
Serge Molla
Ces lignes ont paru initialement en 2006 dans la réédition de l’Encyclopédie du Protestantisme (P. Gisel, dir.) aux Presses Universitaires de France