Documentaire (auto)biographique: exploration de l'indicible

Le 03 décembre 2020

Comme Let It Burn de Maíra Bühler, les documentaires présentés ici1 étonnent par le peu de budget à disposition et la simplicité du dispositif: c’est avec une mise en scène minimale que s’effectue la quête de la révélation de l’indicible. L’image, souvent brute, peu travaillée, semble représenter un instant saisit sur le vif tout en donnant à la parole sa profondeur. C’est ensemble que récit rétrospectif et mise en scène (qui actualise cette parole) convoquent l’imagination et les émotions du spectateur. L’indicible se love ainsi au-dedans de l’individu, dans ses pulsions ou ses aspirations brutes, qui trouvent un moyen d’expression par le dispositif cinématographique.


Une exception: Babenco: Tell Me When I Die2 réalisé par Bárbara Paz, la femme du cinéaste dont il est question dans le titre. Ce documentaire se présente comme une cartographie de l’esprit d’Héctor Babenco (Pixote, la loi du plus faible; Carandiru) qui prend forme par de vifs mouvements de caméra et un récit fracturé, entremêlant des séquences de ses films, des plans symboliques et des images de lui, à l’approche de la mort. La construction du film se veut une imitation de la mémoire de celui dont il est question.


Home de Letícia Simões est probablement celui qui pousse le plus loin la simplicité du dispositif: une caméra, souvent déposée sur un meuble, enregistre les interactions entre la jeune cinéaste, sa mère chez qui elle revient vivre temporairement et sa grand-mère, placée dans un EMS. Des moments suspendus, hors du temps, grâce à des photographies de famille retouchées, des images autres sans parole, contrastent avec les moments d’interaction entre ces femmes. Qu’importe que les corps sortent des fois du cadre, que les plans soient parfois disgracieux et le champ obstrué par un corps: ce documentaire capture les rapports familiaux dans ce qu’ils ont de plus touchants comme de plus violents. La mère, personnage pivot, a été diagnostiquée bipolaire. Son regard est sévère, son intelligence vive et son humour aussi désabusé qu’inattendu. Victime, enfant, de sa mère, elle en devient le bourreau. La scène qui illustre le mieux cette double relation ainsi que la tension entre passé et présent, récit et image, est sans conteste celle, magistrale, du repas de Noël. Malgré la cruauté qu’on suppose de la grand-mère par le passé, à l’écran seul est donné à voir le ressentiment d’une mère qui rejaillit avec beaucoup de véhémence sur une pauvre femme de 92 ans, faible et gâteuse.


Gustavo Vinagre - dans les deux documentaires disponibles sur la plateforme, comme dans son dernier film Divinely Evil3 - porte son regard sur un seul personnage filmé chez lui. Dans I Remember The Crows (2018), l’actrice transgenre Julia Katharine se livre à nous, face caméra, lors d’une de ses fréquentes nuits sans sommeil. Différentes facettes de sa personnalité sont présentées ainsi que des épisodes traumatisants de son passé - notamment l’emprise sur elle de son oncle de 55 ans quand elle n’avait que 8 ans… -, mais sans le moindre pathos et avec une lucidité déconcertante. Ce documentaire est donc essentiellement porté par l’actrice, son jeu et son plaisir de mettre en scène son quotidien, pour elle-même et les autres. Dès le début, le quatrième mur est inexistant, le dispositif assumé et même critiqué par moments. En effet, Julia Katharine évoque à plusieurs reprises la gêne ressentie face à la caméra, le réalisateur ne l’orientant pas suffisamment sur des thématiques précises.


The Blue Flowers Of Novalis, coréalisé avec Rodrigo Carneiro, atteint un degré d’élaboration supérieur par la mise en scène du passé du protagoniste. Ainsi, dans un même plan, par un simple mouvement de caméra, Marcelo - sorte de dandy homosexuel décadent, reclus chez lui - passe du récit oral à l’action elle-même, qu’il rejoue devant la caméra. A l’intérieur du documentaire donc, de la fiction, pour mettre en évidence que toute parole rétrospective de soi ne peut être authentique.


Un renouvellement des formes cinématographiques se dessine alors avec ses (auto)biographies sans acteur et qui mettent au centre de ses préoccupations non pas l’image, souvent considérée comme l’essence du cinéma, mais un individu, son parcours, son regard sur soi. La fiction et le jeu, quoique plus discrets, demeurent présents dans le récit porté sur soi et la manière de se raconter face caméra.


Sabrina Schwob


1 Les films retenus ne représentent qu’une partie des films (auto)biographiques disponibles sur la plateforme Mubi dans la sélection de films sur le nouveau cinéma brésilien.

2 Babenco: Tell Me When I Die a été sélectionné à la Mostra de Venise en 2019 et à Visions du Réel en 2020.

3 Sélectionné à la Berlinale en 2020.