L'édito de Sabrina Schwob - Des héros terriens

Le 07 octobre 2019

On est désormais bien éloigné des héros hollywoodiens sublimés, des idoles inatteignables, tels qu’ils ont pu se présenter dans le cinéma classique ou dans les films de super-héros. Tout se passe comme si la demande du personnage de Cary Grant dans Indiscrétions (George Cukor, 1940), qui reproche à celui de Katharine Hepburn sa perfection froide et désincarnée, et qui veut la descendre de son piédestal, avait été entendue: on a vu se multiplier sur nos écrans, depuis plusieurs années, des héros se révélant dans leur faiblesse et leur vulnérabilité.

Brad Pitt dans Ad Astra, la dernière production de James Gray, apparaît dépressif et sans grande évolution tout au long de l’œuvre. Et c’est le cœur fragile de Sylvester Stallone, dissimulé derrière une forteresse de muscles, qui est au centre de Rambo: Last Blood. Cette représentation des héros tend à les rapprocher des anti-héros (que l’on pense par exemple au nouveau Joker) comme deux côtés d’une même pièce, qui se rejoignent par leur qualité proprement humaine, dans ce qu’elle contient de souffrance et de tragédie, et qui sert de substrat explicatif ou d’obstacle à leurs actions extraordinaires.

Les biopics eux aussi à leur manière favorisent une certaine identification du spectateur aux personnages qu’ils exposent sous plusieurs de leurs facettes. Dans Pavarotti (Ron Howard), comme dans Diego Maradona (Asif Kapadia), on cherche à épaissir le voile mythique autour de ces deux figures, en passant rapidement sur leur faiblesse dans le premier, ou en rendant la situation, les médias notamment, responsables de celle-ci dans le second.

Avec une originalité déroutante et déstabilisante, Bruno Dumont propose une nouvelle version d’un mythe, non seulement historique mais aussi cinématographique avec Jeanne. S’il y a un haut degré d’abstraction dans certaines séquences (la chorégraphie, filmée en de longs plans fixes aériens, des chevaux avant la bataille), il y a a contrario une volonté de restituer aux personnages leur aspect bien charnel, surtout aux inquisiteurs de Jeanne d’Arc, en sélectionnant des acteurs non professionnels au physique étrange, imposant. À cela s’ajoute une diction des plus curieuses, résultat, comme s’en explique le réalisateur, d’un tournage continu des discours (découpés ensuite au montage) de chaque acteur, sans que celui-ci ne s’adresse à personne. C’est par ce côté artificiel que le cinéaste cherche à rendre concret le comportement de ces hommes aux actions incompréhensibles. Et que dire de l’idée de choisir la même actrice, Lise Leplat Prudhomme, que dans Jeannette alors qu’elle vient tout juste d’avoir 10 ans? La persévérance dans nos certitudes, malgré les menaces et les risques encourus, peut-elle être mieux représentée que par la jeunesse? Une alternative des plus réjouissantes pour changer le piédestal de pierre froide en pieds d’argile.