L'édito de Émilie Fradella - Culture suisse, culture pub, carton rouge
Le 12 février 2025
C’est une période des plus tourmentées qui s’annonce pour le cinéma helvétique en ce début d’année, mais c’est aussi une des plus dynamiques pour rencontrer les propositions en festival, et c’est le Black Movie qui a inauguré la valse des manifestations culturelles d’envergure internationale en janvier dernier. Nos rédacteurs se sont plongés dans une programmation toujours plus engagée et se sont attelés à un compte rendu conséquent, que vous trouverez dans ce numéro.
Mais c’est surtout avec le cœur lourd que nous vous incitons à participer aux festivals qui sont fortement menacés, à la suite de l’annonce le 6 février dernier de la suppression des partenariats culturels par la Direction du développement et de la coopération (DDC), organe du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en charge de la coopération internationale. Sont directement concernés: le Festival international du film de Locarno, le Festival international du film de Fribourg (FIFF); Le Festival international du court métrage de Winterthour et le Festival international Visions du Réel de Nyon, pour ne citer que les manifestations touchées par la mesure.
Les subventions allouées au septième art en Suisse n’ont jamais été un long fleuve tranquille. Mais à l’heure où les financements publics sont revus à la baisse, le cinéma helvétique s’apprête à traverser des eaux encore plus tumultueuses. Également, l’annonce d’une réduction budgétaire par l’Office fédéral de la culture (OFC) pour la branche cinéma n’est pas une surprise; elle s’inscrit dans une tendance globale de rationalisation des dépenses. Pourtant, cette décision pèse lourdement sur la production locale, déjà fragilisée par des logiques de rentabilité qui s’imposent toujours plus comme critères d’existence. Un film se fabrique avec des images, des mots, du temps et, aussi, beaucoup d’argent. La Suisse n’a jamais été un eldorado cinématographique, mais la branche a su composer avec un écosystème où le soutien institutionnel était garant d’une certaine liberté artistique. Or, les coupes budgétaires viennent bouleverser ce fragile équilibre, risquant de plier le cinéma aux règles du marché bien plus qu’aux rôles de passeur de mémoire de ses créateurs.
Le désengagement progressif des pouvoirs publics pose une question cruciale: quelle place voulons-nous accorder au cinéma national ainsi qu’aux productions alternatives? Privées de soutien, ces voix devront aujourd’hui redoubler d’efforts pour exister, ou malheureusement se taire, accusant déjà un retard conséquent sur la scène internationale. Dans cette mutation économique, il ne s’agit pas seulement de chiffres, mais d’une question de vision. En refusant de considérer l’art comme un levier à part entière, nos instances décisionnelles font un choix lourd de conséquences: elles transforment un espace d’expression en un produit de consommation et appauvrissent la culture cinématographique helvétique.
Au cinéma de réagir, et au public de s’interroger: quel futur pour un art que l’on prive de souffle?
Émilie Fradella