L'édito de Kim Figuerola - Cinémas africains: être son propre soleil

Le 04 septembre 2024


Dans Caméra d’Afrique (1983) de Férid Boughedir, Ousmane Sembène en 1970 déclare lors d’une interview accordée à un journaliste: «L’avenir ne dépend pas de l’Europe. […] Pourquoi voulez-vous que je sois le tournesol qui tourne autour du soleil? Je suis moi-même le soleil.» À rebours du tropisme occidental, ce pionnier des cinémas africains a précisément invité les peuples d’Afrique à rétablir le centre gravitationnel en eux. À repenser leur place, à se réapproprier l’Histoire et à consolider la véritable identité africaine de l’intérieur. Car l’avenir du continent africain ne doit plus dépendre de l’Europe ni de son miroir distordant. Quoi de plus significatif, dès lors, que de renverser les représentations construites par les pays colonisateurs avec le médium cinématographique, de transformer l’invention moderne des oppresseurs en plume mécanique qui écrira avec une encre résolument militante, les témoignages des oppressé·e·s. Et quoi de plus significatif que d’accomplir de ce fait un réel éveil collectif par les images.

Ainsi naissent les cinémas africains, dans le contexte de la décolonisation et des indépendances de la seconde moitié du vingtième siècle. Les pionniers, artistes de tous horizons - certains écrivains d’autres ouvriers -, prennent rapidement conscience que leurs œuvres reposent sur des questions identitaires, historiques et nécessairement mémorielles. Ils tracent par conséquent, sur ces fondations théoriques essentielles, le devenir de ces cinémas-là, créant à leur tour des outils historiographiques qui contribuent à présenter l’Histoire de leur point de vue. Des outils qui visibilisent les conséquences dévastatrices de l’impérialisme en Afrique, et déconstruisent le «cinéma exotique» des colons - objet de spectacle et de condescendance des Occidentaux.

Et c’est à travers leur cinématographie nouvelle et singulière que des réalités différenciées nous sont offertes. Des fictions et des documentaires qui relèvent en premier lieu de la lucidité et de la conscience des existences africaines. Pour ces cinéastes indépendants, filmer, c’est attester de certains faits sans compromis, déterrer des récits et des crimes inavouables, offrir un langage et des imaginaires poétiques, des traditions et cosmogonies méconnues. Filmer, c’est montrer une Afrique à la fois légendaire et vériste, avec ses parts d’ombre et de lumière. Enfin, filmer est un acte de résilience et de puissance qui nourrit le soleil intérieur… Ne laissons ni ces soleils ni ceux des générations de réalisateur·rice·s africain·e·s, actuelles et futures, s’éteindre.