CHRONIQUE 9 - NOUVEAU SAUT DANS LE PASSE

Le 13 janvier 2021

Covid, restrictions, fermetures, incertitudes, etc. Pour l’instant rien ne change. Poursuivons encore quelque temps nos découvertes de quelques anciennetés en vous remerciant, amis lecteurs, pour votre fidélité.


Le film dont nous nous rappellerons nous est venu à l’esprit par association d’idées. En consultant la liste des disparus de l’année 2020, nous trouvons le nom d’Alan Parker. Rappelons tout d’abord que ce cinéaste, producteur et scénariste britannique, né en 1944, fut l’auteur d’une œuvre variée dont émergent plusieurs films ayant marqué leur époque. Avec un réel talent de conteur et de belles réussites artistiques et critiques, Alan Parker donna dans la comédie musicale (Pink Floyd: The Wall, The Commitments), le film noir surnaturel (le génial Angel Heart avec Mickey Rourke, Charlotte Rampling et Robert De Niro dans le rôle de Lucifer) ou le drame (Birdy, excellent également). Il fut certes moins inspiré en traitant de la vie d’Eva Perón (Evita avec Madonna) ou de la peine de mort en Amérique (La Vie de David Gale, son dernier film, avec Kate Winslet et Kevin Spacey). Son œuvre est toutefois remarquable.


Le plus célèbre d’entre eux, peut-être, déjà bien engagé vers le statut de classique, est Midnight Express, un film d’une grande force, adapté d’une ahurissante histoire vraie, qui remporta de nombreuses récompenses et révéla l’étoile filante Brad Davis.


Un autre titre marquant fut Mississippi Burning, réalisé en 1988. Dans ce film mettant en vedette Willem Dafoe, Gene Hackman et Frances McDormand (future actrice fétiche des frères Coen), Parker nous emmène en 1964 dans le sud des USA et dans l’un des états les plus tristement emblématiques de la ségrégation raciale et des crimes commis quasi impunément par le Ku Klux Klan. Il part d’un fait réel. En cette année 64, trois jeunes militants des droits civiques, ayant fait escale dans le Mississippi pour aider la population noire, furent retrouvés assassinés après avoir été arrêtés sous un prétexte futile par la police locale, fortement gangrénée par les membres et l’idéologie du Klan. La résolution de l’enquête menée par des agents du FBI fut l’un des plus grands coups portés à l’immonde organisation de suprémacistes blancs. Dafoe et Hackman interprètent les deux enquêteurs venant de Washington, qui se heurteront aux intimidations de la population blanche, pour laquelle le racisme est dans l’éducation et les gênes, mais aussi à l’hostilité des victimes afro-américaines, craignant de coopérer par peur des représailles. Alan Parker reconstitue magnifiquement l’ambiance étouffante, les réunions secrètes, les croix de feu, l’impunité des criminels, les non-dits. Mississippi Burning est un drame se terminant sur une belle note d’espoir, merveilleusement dirigé et interprété. Quelques réserves peuvent être faites sur certains éléments du scénario (le patron du FBI étant qualifié de partisan de l’intégration raciale par ses hommes alors que le moins que l’on puisse dire est qu’Hoover ne l’était pas...), mais n’en gâchent nullement l’impact et le plaisir ressenti en le revoyant. Il est au fond considéré comme le film de référence sur cette problématique en cette période des années 60.


Or, il en existe un autre, passé beaucoup plus inaperçu - et voici le moment de l’association d’idées susmentionnée. Nous donnerons un coup de projecteur mérité sur Les Fantômes du passé (Ghosts Of Mississippi), un film sorti en 1996 et réalisé par Rob Reiner. Une œuvre très proche de celle d’Alan Parker par son émotion et son intérêt venant du fait qu’il s’agit également d’une histoire vraie reconstituée. 12 juin 1963, John Kennedy vient tout juste de prononcer son célèbre discours sur les droits civiques. En rentrant chez lui dans le Mississippi, Medgar Evers, infatigable défenseur de la cause, est lâchement abattu dans le dos, sous les yeux de sa famille, par un enragé notoire du racisme militant. Cet assassin, un sauvage nommé Byron De La Beckwith, persuadé qu’il est intouchable, ne niera même pas avoir commis ce crime, fanfaronnera et mentira grossièrement lors de son procès. Soutenu moralement et financièrement par diverses organisations suprémacistes, bénéficiant d’un jury composé d’hommes blancs complaisants, il sera finalement acquitté pour ce crime et poursuivra sa vie tranquillement pendant de nombreuses années. Mais la veuve d’Evers, Myrlie, ne cessera jamais de lutter pour obtenir la révision de ce procès infamant. Près de trente ans plus tard, elle contacte le procureur DeLaughter, et parvient à le convaincre de l’aider. Le procureur va alors se lancer dans une quête de justice à retardement, en faisant face à de nombreux problèmes: tous ses collègues lui conseillent de laisser tomber, plusieurs preuves de l’époque ont disparu au cours du temps, des témoins sont morts et, surtout, les habitants du Mississippi, qui ne sont certes plus aussi extrémistes que dans les années 60, voient d’un très mauvais œil que l’on fasse remonter ces vieilles histoires à la surface. Toutefois, l’assassin Beckwith étant toujours en vie et persuadé qu’il ne peut rien lui arriver, Myrlie et le procureur se font un devoir de rendre enfin justice. Le procès aura finalement lieu en 1994, et montrera qu’heureusement, les mentalités locales ont bien changé durant ces trois décennies.


Dans la réalité, aujourd’hui Bobby DeLaughter est toujours procureur dans le Mississippi, mais son implication dans cette affaire aura mis un terme à ses ambitions politiques. Myrlie Evers est, à 87 ans, une figure de la lutte pour les droits civiques et a prononcé un discours lors de la seconde investiture de Barack Obama. Quant à Beckwith, il est décédé en prison en 2001, après avoir vainement tenté de faire appel de sa condamnation.


Si vous aimez les films d’enquête et de procès, vous serez servis, Les Fantômes du passé est formidable. Il est passionnant de voir les protagonistes tenter par tous les moyens de faire revivre ces anciens événements et sentiments. Les moments d’enquête et de tribunal sont touchants et haletants même si l’issue du procès n’est pas une surprise. Le film insiste aussi sur ces «traditions», même désolantes et ancestrales, qui peuvent polluer un coin de terre et ses habitants, malgré le fait que la société contemporaine soit officiellement passée à autre chose. «Le Mississippi n’aime pas qu’on réveille les morts», déclare le supérieur de Bobby DeLaughter pour le dissuader de s’occuper de l’affaire Evers.


Le film est interprété par une un trio de comédiens connus, mais que l’on n'a pas l’habitude de voir dans ce genre d’emploi. Dans le rôle du procureur qui n’a pas peur de se faire des ennemis, Alec Baldwin est excellent. Il a souvent été sous-estimé, à cause d’une carrière il est vrai pas toujours heureuse, contenant trop souvent des rôles de belle gueule dans des films commerciaux, ou des seconds couteaux vite oubliés. On remarque que la qualité de sa carrière, autant au cinéma qu’à la télé, s’est nettement améliorée au tournant des années 2000 (citons à titre d'exemples Les Infiltrés, Raisons d’Etat, le téléfilm Nuremberg ou la série comique 30 Rock). Pour jouer Myrlie Evers, la veuve en quête de justice, c’est Whoopi Goldberg qui fut choisie. Elle aussi fut souvent sous-employée, dans des films plus ou moins médiocres où on ne lui demandait que d’être pétulante et de faire la folle. Elle n’a quasiment jamais été aussi bien qu’ici, avec évidemment son rôle dans La Couleur pourpre de Spielberg. Mais c’est James Woods qui mit tout le monde d’accord avec son interprétation spectaculaire et glaçante du monstre De La Beckwith. Un rôle pas facile, puisqu’il fut outrageusement maquillé pour lui donner l’apparence d’un vieil homme, ce qui ne marche pas toujours à l’écran. Woods est parfait, effrayant et parvient à donner la nausée tant son jeu est juste. Il fut nominé à plusieurs reprises pour des prix d’interprétation. Pour l’anecdote, le rôle de la fille de Medgar Evers est ici tenu par une certaine Yolanda King, elle-même fille... de Martin Luther King.


Revenons rapidement sur la carrière du cinéaste, Rob Reiner. Il n’est aujourd’hui plus au premier plan, n’ayant connu aucun réel succès depuis les années 2000. Il semble en effet s’être spécialisé dans de petites comédies gentillettes qui passent inaperçues. Toutefois, il démarra très fort avec de grands succès tels que Stand By Me, Quand Harry rencontre Sally, Princess Bride ou l’excellent Des hommes d’honneur avec Tom Cruise et Jack Nicholson. Mais il signa également l’une des meilleures adaptations de Stephen King à l’écran avec le somptueux Misery en 1990.


C’était donc l’occasion de revenir sur l’œuvre d’Alan Parker et de se souvenir d’un film injustement oublié. Nous aurions pu aussi parler de la disparition en 2020 d’un autre cinéaste solide, Joel Schumacher. Pour nous souvenir de lui, revoyons Chute libre, avec Michael Douglas, Le Client d’après John Grisham et, pour les estomacs bien accrochés, son 8 mm avec Nicolas Cage.


Un dernier mot pour rendre hommage à Robert Hossein, décédé le 31 décembre. Il vaut beaucoup mieux en effet que ce qui a systématiquement été cité en premier, à savoir le Peyrac balafré dans Angélique. Un acteur prodigieux qui fut aussi réalisateur de films curieux (Le Vampire de Düsseldorf, J’ai tué Raspoutine ou Les Salauds vont en enfer d’après un livre de son complice Frédéric Dard); il offrit à Lino Ventura le rôle de Jean Valjean dans son film-fleuve Les Misérables en 1982; il amena le théâtre dans des Palais des Sports et des Zénith avec des spectacles pharaoniques (Ben-Hur, Jésus, De Gaulle). Une vie de foi, dédiée à l’Art et à ceux qui le font. Au cinéma, pour ne choisir que quelques films, nous pensons au Casse d’Henri Verneuil, au Grand Pardon d’Alexandre Arcady et bien évidemment au sublime Les Uns et les autres de Claude Lelouch et sa terrible et inoubliable «scène du train» avec Nicole Garcia.


À très bientôt, et Bonne Année!


Philippe Thonney