Chernobyl

Le 21 septembre 2020

Tchernobyl! Pripiat! Les noms d'une centrale nucléaire et de la ville avoisinante, inconnus jusqu'alors, sont devenus tristement célèbres. La série éponyme revient sur un événement tragique majeur au point que l'on parle aujourd'hui d'un «avant» et d'un «après Tchernobyl».

Le samedi 26 avril 1986, à 1 heure 23 minutes 45 secondes du matin, la puissance du quatrième réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl (URSS) fut brusquement multipliée par cent: le toit de la centrale se souleva et des blocs de graphite incandescents et de produits hautement radioactifs furent projetés alentour, un panache de poussières radioactives monta à plusieurs centaines de mètres d’altitude, qui allait faire le tour de l’Europe. Ainsi, contamination de l’environnement, évacuation tardive de plus de 200’000 personnes et nombreux décès et maladies dus aux radiations seraient au rendez-vous de cette catastrophe, qui ne sera annoncée que deux jours plus tard! Revenir alors sur cet événement pourrait sembler de bien mauvais goût, si cette remarquable minisérie ne permettait pas de mieux comprendre ce qui s’est réellement passé, en conjuguant dans son sillage information et désinformation.

Pour cela, les scénaristes ont bien sûr resserré le propos global et concentré sur quelques personnages les multiples décisions auxquelles furent alors confrontés les politiques et les scientifiques, afin d’approcher le mécanisme complexe d’une telle catastrophe et de ses conséquences. Ainsi suit-on en particulier l’apparatchik Boris Shcherbina (Stellan Skarsgård), vice-président du Conseil de ministres et chef du Bureau des combustibles et de l’énergie, et le physicien Valery Legasov (Jared Harris), directeur adjoint de l’Institut d’énergie atomique de Kopurchatov, appelés à collaborer tous deux pour écarter définitivement l’éventualité d’une seconde explosion et sauver la face de leur pays aux yeux des nations alertées par des niveaux inédits de radiations.

Un thème traverse la narration, celui du sacrifice et de l’héroïsme silencieux qui s’imposent aux populations locales désinformées, aux soldats et aux volontaires dépêchés sur place. A noter par exemple que - ce n’est pas montré dans la série - les autorités ont très vite augmenté les niveaux admissibles de radioactivité pour ne pas avoir à évacuer les populations, estimant la panique plus dangereuse que les radiations. Ainsi la fête du 1er mai fut-elle maintenue à Kiev, située à une centaine de kilomètres de la centrale, alors que le vent soufflait dans cette direction. De même que pour éviter un énorme gâchis, on expédia de la viande contaminée aux quatre coins du pays vers de grandes boucheries industrielles où elle était mélangée avec de la viande non contaminée. Et tout cela avec la validation des scientifiques. C’est également le sacrifice consenti de politiques et de scientifiques - incarnés par le personnage composite fictif de Ulana Khomyuk (Emily Watson) - qui renonceront à leur plan de carrière pour que la vérité triomphe et qu’un tel événement ne se répète jamais.

Une fois le drame écarté se déroule un procès pour saisir comment tout cela a pu arriver et pour en désigner les responsables. Pour une fois, on est loin des scènes de tribunal étasuniennes où il s’agit de convaincre des jurés; cette fois-ci les juges sont tous des experts. Valery Legasov joue à ce moment-là une fois encore un rôle-clé: cet homme, piètre orateur, osera-t-il confronter le système? Quoi qu’il en soit, le physicien se suicidera le 26 avril 1988, soit le jour du deuxième anniversaire de l’accident, en laissant un document enregistré, publié le 20 mai dans La Pravda, dans lequel il dénonce la violation des règles de sécurité, le manque d’esprit critique des ingénieurs et l’impréparation du personnel et des autorités à des dysfonctionnements graves.

Le solide recueil de témoignages de l’écrivaine Svetlana Alexievitch, La Supplication, est à l’origine de nombreuses scènes et de plusieurs dialogues d’une intensité peu commune. Quant au tournage, il s’est principalement effectué en Lituanie, à l’exception de quelques scènes réalisées en Ukraine. Quelques courts compléments sont proposés en bonus. Ils permettent entre autres de pénétrer dans les coulisses des épisodes, de rencontrer les personnages principaux, de revenir sur le temps fort du procès et de s’arrêter sur le passage du scénario à l’écran.

En 2016, s’est achevée la construction d’un nouveau bouclier antiradiation sur le site de la centrale, ce qui fait qu’aujourd’hui des touristes viennent découvrir un décor qui dépasse la fiction et dégage une atmosphère inédite, les ruines étranges des villes abandonnées où l’on s’attend à croiser le Stalker d’Andreï Tarkovski (1979). Et chacun d’y réaliser avec stupeur l’ampleur qu’aurait pu prendre une telle catastrophe qui, aux yeux de Mikhaïl Gorbatchev (secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’époque), précipita sans doute la chute de l’URSS.


Serge Molla

Note : 17

Réalisation : Johan Renck

ROYAUME-UNI / USA / ALLEMAGNE, 2019, 1 SAISON 5 épisodes de 60 à 72 minutes