Carte blanche : Thierry Spicher

Le 09 février 2022

État des lieux de la production cinématographique suisse et ses conséquences

Rien ne me prédestinait à travailler dans le cinéma. Lassé de l’entre-soi en vigueur dans les arts de la scène, c’est par hasard et concours de circonstances que, voilà plus de vingt ans, on m’a improvisé producteur. Je n’avais, comme la plupart de nos concitoyen·nes, pas d’idée précise sur la composition de la fameuse «Branche». Mais le cinéma propose en théorie une perspective prometteuse: celle de s’adresser à tous les segments de la population, sans restriction. Chacun·e est un·e spectateur·trice légitime de cinéma. Le cinéma offre cette possibilité de produire des œuvres à la fois valides artistiquement, pertinentes culturellement et populaires.

Vingt ans plus tard, si je pense toujours que ce constat réjouissant reste valable dans l’absolu, j‘ai acquis la conviction que, pour ce qui est du cinéma suisse, il reste théorique, sans manifestation concrète.

Au niveau artistique, le niveau du cinéma suisse est moyen, pour ne pas dire médiocre (ce qui reviendrait au même si l’on en croit le Larousse, mais aurait le désavantage d’être trop clair); au niveau culturel le cinéma suisse n’est que peu signifiant et au niveau du public, il est en échec.

Il n’y a rien de scandaleux dans la production suisse. Il n’y a rien non plus de vraiment remarquable; sinon peut-être l’image déplorable à laquelle notre cinéma est associé dans la population: ennui, tristesse et nombrilisme exacerbé sont associés aux films suisses par les personnes vivant en Suisse. Cette image ne reflète pas ce qu’est notre cinéma, mais elle ne s’est pas forgée par hasard et elle ne perdure pas non plus sans raison aucune…

Le fait est que le niveau de la production suisse n’est pas assez élevé. Tout simplement.

Le cinéma est un art collectif. Une cinématographie n’est pas le fait de quelques femmes ou hommes providentiel·les, mais le résultat d’un ensemble de facteurs parmi lesquels le niveau de formation et le volume de production.

Les conditions-cadres pour ces deux facteurs ne sont pas réunies en Suisse pour espérer une embellie.

Les formations sont d’un niveau insuffisant: on ne forme pas assez bien, à pas assez de professions, dans trop d’écoles, situées dans un champ, celui des écoles d’art, inadéquat et mortifère pour le cinéma.

Le volume de production est insuffisant, car il n’y a pas assez de moyens. La faiblesse des investissements des villes et des cantons (les montants sont dérisoires), la faiblesse des montants au niveau fédéral (le grand bond en avant n’est jamais venu), l’impossibilité de penser un outil fiscal en raison du fédéralisme, le non-engagement des chaînes étrangères et plateformes diffusant en Suisse, tout cela fait que le volume de production est trop faible pour permettre de progresser.

Pour avoir une chance de faire sauter le plafond du cinéma suisse et lui permettre d’atteindre une hauteur satisfaisante, il faut s’attaquer aux conditions-cadres: changer radicalement la formation, augmenter significativement les moyens. Il s’agit de deux conditions nécessaires. Pour les mettre en œuvre, il faudra de la pugnacité, de la lucidité et saisir le momentum qui se présente en concentrant toutes les énergies sur ces deux objectifs sans se laisser dérouter par les chimères de changements anecdotiques et dilatoires.


Thierry Spicher