CARTE BLANCHE : Frédéric Gonseth

Le 12 janvier 2022

Panne et panique panoramique


En laissant «Net-flux» (le flux tendu grâce au net, destiné à améliorer la profitabilité générale) prendre les commandes de notre civilisation, nous nous sommes nous-mêmes tendus un piège. Le piège du goulot d’étranglement.

Les hôpitaux et la santé publique n’ont cessé d’être réduits, alors qu’en cas de pandémie, ils déterminent le sort de la société tout entière. La recherche sur les vaccins, ceinture de sécurité d’une société aux échanges toujours plus accélérés, a été abandonnée même par la Suisse spécialiste des pharmas parce que ce n’était pas un secteur rentable.

Le Flux Tendu, c’est n’avoir aucun stock mais c’est aussi le négationnisme de La Panne. Les stratégies élaborées face aux virus de la grippe du début des années 2000 ont été traitées comme un film catastrophe démodé (c’est vrai qu’Alerte! bousillait allègrement en 1995 un sujet prémonitoire…) On est donc passé à Ce soir on improvise… On ferme ou on restreint des lieux qui n’ont peut-être pas un rôle propagateur comme les cinémas, on en laisse d’autres ouverts qui en ont. Le virus s’amuse.

On invoque chacun à se sentir responsable des plus fragiles, mais on indemnise les activités entravées de telle façon que des secteurs entiers comme le cinéma se retrouvent paralysés, tandis que d’autres, que la pandémie favorise, voient leurs profits s’envoler. Sans établir la moindre compensation entre l’insolente prospérité des uns et l’appauvrissement des autres: Netflix vient de dépasser les 2 millions et demi d’abonnés en Suisse (et ce n’est qu’un seul pourcent de son chiffre d’affaires mondial), la moitié de la population suisse regarde l’offre Netflix, alors que la fréquentation des salles chute dans la même proportion. Au lieu des spectateurs, ce sont les films qui font la queue.

Mais à la différence du coiffeur ou du chirurgien que les gens retrouvent à la fin des restrictions, au cinéma, le barbier s’est numérisé! Les gens ont découvert un ersatz, comme on disait durant la Seconde Guerre mondiale, ils ont pris des abonnements sur les plateformes, et pire encore, des habitudes. Le canapé.

Pourtant, les plateformes ne sont pas en mesure de financer la production du cinéma, même si Netflix donne le change en finançant quelques films-phares, y compris «d’auteur» comme le courageux Don’t Look Up. Le paradoxe, c’est que la pandémie a commencé à éradiquer les dinosaures des grands studios, mais qu’elle s’attaque aussi aux petits poissons des auteurs.

En mettant les contenus sur le marché mondial sans les rémunérer, comme les articles de presse, ou à des prix ne couvrant pas leurs frais de production, comme les films, c’est bien le biotope culturel et journalistique qui est en train d’être rasé par les plateformes. C’est pourquoi il est si important qu’une aide aux médias puisse défendre le journalisme (votation du 13 février) et que la nouvelle loi sur le cinéma contraigne les plateformes comme Netflix à (modestement) dépenser 4% de leur chiffre d’affaires en Suisse même.


Frédéric Gonseth, réalisateur, scénariste et producteur