Black Movie : Ulbolsyn

Le 10 février 2021

Ulbolsyn

D’Adilkhan Yerzhanov

KAZAKHSTAN / FRANCE, 2020


ACTEURS

Assel Sadvakassova

Dinara Sagi

Yerbolat Alkozha


SCÉNARIO

Adilkhan Yerzhanov


DURÉE 1 h 11


NOTE 18

Ulbolsyn, film sélectionné au Black Movie, parvient sous une apparente légèreté pop à dresser le portrait satirique d’une société kazakhe patriarcale attachée au confort de la tradition.

Plusieurs œuvres sélectionnées au Black Movie auraient mérité que l’on s’y attarde plus longuement; nous avons toutefois retenu celle-ci qui se distingue d’autres films visionnés par son recours efficace à l’humour afin de dénoncer quelques travers de la société, en l’occurrence kazakhe.

Les plaines enneigées et vallonnées du petit village de Karatas rappellent celles du Minnesota dans Fargo (1996) des frères Coen. Ces derniers semblent également présents dans le choix d’une série de personnages burlesques, aux physiques grotesques, amorphes, dans des rôles d’incapables. Ils incarnent les adversaires d’Ulbolsyn - citadine à la veste rouge boursouflée avec une minerve accentuant son aspect déterminé -: notamment un flic gargantuesque et ses acolytes peu éclairés, bien plus préoccupés à manger des brochettes au bord de la route que d’enquêter sur les viols ou disparitions, de la sœur d’Ulbolsyn notamment, âgée de seulement 16 ans. L’enlèvement intervient au moment où Ulbolsyn s’apprêtait à l’envoyer à l’étranger pour étudier, espérant lui donner de cette manière les moyens d’une vie indépendante et autonome.

Ainsi, le film commence avec des allures de thriller, très vite dissipées par l’inertie des policiers, affairés à repeindre un mur au poste. Ici comme dans la suite du récit, la narration fonctionne sur le mode de la surprise: là où l’on attendait une enquête pleine de rebondissements, le coupable, à l’allure ringarde et nonchalante, est identifié dès le début (mais protégé, en tant qu’homme richissime, par les gardiens de l’ordre établi) tandis qu’à un enlèvement sanglant s’en substitue un consenti par tous, la mère de la victime y compris. Celle-ci souhaite en effet marier sa fille à cet homme puissant, malgré l’illégalité de cette pratique (pourtant très répandue au Kazakhstan), étant donné son jeune âge. Ce décalage entre les attentes et les faits s’exprime magnifiquement lors des retrouvailles entre les deux sœurs: la victime n’est ni ligotée, ni même inquiète, mais assise paisiblement à une table, avec un nounours dans le décor - identique à celui qu’on verra dans la maison familiale, dans la séquence suivante. Un espace familier donc, et rassurant…

Autrement dit, la violence, que seule Ulbolsyn refuse, n’a rien ici de spectaculaire, au contraire: insidieuse, elle prend la forme du banal. Si la protagoniste trouve quelques alliés, ceux-ci ont tôt fait de se laisser corrompre par son futur beau-frère, qui les apprivoise grâce au plaisir d’un bon repas avec des gens importants et à l’argent, tous deux garants ici de la tradition. Le journaliste en vogue sur les réseaux sociaux refusera lui aussi d’apporter son aide: les faits sont bien trop fades pour choquer sur la toile. La future mariée elle-même y trouvera au final son compte.

A cette révélation du tragique sous l’anodin participe le comique, omniprésent dans l’ensemble de l’œuvre: il pointe la mécanique de l’habitude chez les adversaires de la protagoniste. Alors, celle-ci doit recourir à un autre type de violence, même à l’égard des principales concernées, pour mettre en branle cette société conservatrice et patriarcale. A l’image, cela s’exprime par la disparition du bleu (omniprésent avec le rouge et le jaune, symbolisant toutes trois une force autre) alors que les plans sont composés de manière à laisser un (petit) horizon dégagé en son centre: ligne de fuite nécessaire mais ô combien difficile à atteindre.


Sabrina Schwob