Black Movie

Le 10 février 2021

Du 22 au 31 janvier s’est déroulé le Festival international de films indépendants Black Movie. Pandémie mondiale oblige, l’événement - qui se déroule habituellement à Genève - a pris une forme entièrement numérique et s’est installé dans nos salons. À l’ordre de cette 22e édition: 84 réalisations réparties dans sept sections thématiques. L’occasion, en cette période où la culture est proclamée «bien non essentiel» (sic), de découvrir des œuvres originales en faisant son festival depuis son canapé.


Jeudi 21 janvier, 20 h 30. La cérémonie d’inauguration - sous forme de live Facebook - lance officiellement les hostilités. Une fois celle-ci terminée, en quelques clics, le premier long métrage est accessible. La lecture en continu tient la route (pas de ralentissements ou de chargements intempestifs), l’expérience est d’ores et déjà concluante. Mais entrons dans le vif du sujet: les films constituant ce cru 2021 de Black Movie. Premier constat, l’éclectisme est de mise. Des réalisations de tous horizons (une quarantaine de nationalités représentées) et de tous genres. Du documentaire à l’animation, en passant par le film-fleuve de six heures, tous les publics seront comblés. Cerise sur un gâteau déjà très appétissant, des interviews de cinéastes et des conférences sont disponibles et permettent de prolonger l’expérience.


Dès les premières découvertes, les lignes thématiques se dessinent. À l’image du slogan «Et que vive le cinéma et la culture» scandé poing levé par Kate Reidy et Maria Watzlawick (codirectrices du festival) lors de la séance d’inauguration, le 7e art est à la fête. Tout d’abord, dans une section - logiquement intitulée «Silence, on tourne!» - dont font partie les deux immenses coups de cœur que sont Lucky Chan-sil et The Earth Is Blue As An Orange. Le premier, véritable ode au cinéma d’une délicatesse rare, narre le quotidien de Chan-sil, une productrice de films qui voit sa vie bouleversée suite au décès de son mentor pour qui elle a toujours travaillé. Vouée à faire le ménage chez une amie actrice, elle y fait la connaissance de Kim-young, un réalisateur de courts métrages enseignant le français pour arrondir ses fins de mois. Cette rencontre, en outre de ne pas laisser Chan-sil indifférente, va soulever de nombreuses questions existentielles. Quant au second, il nous propulse, en pleine guerre du Donbass, dans une famille faisant du cinéma une alternative à la morosité du quotidien. Étrangement en dehors de cette section, Red Post On Escher Street, dernier film (et première européenne) de Sion Sono, s’aventure également dans la mise en abyme cinématographique via une œuvre déjantée. Alors qu’un réalisateur en vogue s’apprête à réaliser son nouveau film, la majorité du casting est relayée au rang de figurants pour laisser place aux célébrités du moment. Ne l’entendant pas de cette oreille, les acteurs et actrices laissés pour compte vont prendre le pouvoir du plateau de tournage afin de faire régner leur justice et braquer les projecteurs sur les injustices du milieu.


À l’instar du fantasque réalisateur japonais - qui a toujours su offrir à ses actrices des rôles primordiaux - cette édition du Black Movie fait la part belle aux femmes. Dans une époque où il est malheureusement encore nécessaire de créer des thématiques genrées pour avoir une représentativité, ces réalisatrices et actrices (regroupées dans la section «La femme à la caméra» mais s’en échappant volontiers) nous offrent quelques condensés de talent. Qu’elles soient derrière la caméra (Entre perro y lobo ou Les Voleurs de chevaux), devant (l’épopée vengeresse d’Ulbolsyn, qui tente de sauver sa sœur des mains des voyous de son village natal) ou les deux, là aussi, la qualité de la sélection impressionne. Concernant ce dernier point, citons deux exemples. Gull tout d’abord. Le récit tout en sous-entendus d’une travailleuse opiniâtre d’un marché de poissons qui se fait violer par un de ses collègues lors d’une soirée trop arrosée. Décidant dans un premier temps de nier l’événement, la colère finira par prendre le dessus et entraîner sa révolte. Également, The Pencil dans lequel une professeure d’art emménage dans un petit village de campagne à proximité de la prison où est enfermé son mari. Lors de ses premiers cours, elle va être confrontée au caïd de l’école qui terrorise le reste des élèves et va tenter de le sauver de son destin que tous pensent déjà tracé.


La programmation propose également une série de portraits atypiques. Des âmes ébranlées en manque de reconnaissance dans une société de plus en plus individualiste qui laisse sur le bord du chemin ceux qui le trouvent trop droit et ne veulent plus l’emprunter. En témoignent les poignants 50 o dos ballenas se encuentran en la playa et Sister. Deux relations - respectivement amoureuse et sororale - qui expriment tant le malaise adolescent qu’une envie de liberté farouche. Liberté qui est un autre fil rouge se déroulant tout au long de la bien nommée section «Liberté, j’écris ton nom». Et en particulier dans le décalé mais profond The Island Within relatant l’échappée belle de Seymour - joueur d’échecs tenu d’une main de fer par son père - qui décide de tout plaquer suite au décès de son grand-père. Si c’est à la recherche de l’île évoquée par son aïeul qu’il part, il finira surtout par trouver la délivrance.


Distinguons encore les documentaires Los años de Fierro (les quarante ans passés par un innocent dans le couloir de la mort), Softie (le parcours, professionnel et familial, d’un photographe devenu militant puis politicien dans la corruption kényane) et Off The Road (une réflexion sur les enjeux de la mythique Baja 1000, course automobile en plein désert mexicain), ainsi que la montée en puissance de Casa de antiguidades, fiction à l’ambiance envoûtante narrant le récit d’un vieil homme déraciné dans un Brésil en pleine mutation. Pour finir, quelques moments de tendresse avec Mamá, mamá, mamá (la solidarité familiale face au deuil), La Femme qui s’est enfuie (la dernière fable intimiste de Hong Sangsoo) et Tengo miedo torero (une histoire d’amour pas comme les autres dans le Chili de Pinochet).


Face aux incertitudes de la crise sanitaire, le Festival Black Movie aura su se renouveler et rebondir efficacement. Grâce à un format exceptionnel (espérons-le) et innovant, il aura préservé l’essence du festival autant que faire se peut. Il ne nous reste plus qu’à attendre impatiemment la prochaine édition, tout en croisant les doigts pour que celle-ci puisse à nouveau célébrer le cinéma comme il se doit, c’est-à-dire dans les salles!


Marvin Ancian