«Arts et Cinéma» à la Fondation de l’Hermitage

Le 09 septembre 2020

Après six mois de fermeture forcée, la Fondation de l’Hermitage à Lausanne a décidé de reporter l’exposition «Arts et Cinéma» à cet automne. Elle servira ainsi à inaugurer la réouverture des lieux, du 4 septembre au 3 janvier. En collaboration avec La Cinémathèque française et la Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, la fondation offre un historique condensé des rapports du cinéma avec les arts plastiques qui lui furent contemporains.


À l’origine, le projet d’établir une réflexion sur les liens entre cinéma et arts plastiques avait pris forme au CaixaForum de Madrid et de Barcelone en 2017 et au musée des Beaux-Arts de Rouen en 2019. Il était né de l’initiative de Dominique Païni, théoricien du cinéma et ancien directeur de La Cinémathèque française. Le parcours proposé illustre les influences réciproques entre cinéastes et plasticiens, depuis les premiers films de la fin du 19e siècle jusqu’à la Nouvelle Vague, en passant par les expressionnismes allemand et russe, le cubisme ou le surréalisme.


Ce choix partial - et européocentriste - s’explique d’une part par la taille restreinte des lieux mais surtout, par le fait que l’idée est née en terres francophones et que les ressources les plus immédiatement accessibles pour établir ce dialogue esthétique étaient celles des cinémas français, allemands et russes, avec la présence toutefois des États-Unis à deux occasions importantes: les connivences entre Charlot et le cubisme, et les placards de Guido Augusts annonçant les projections de films de Godard à Berkeley. Ces limitations n’enlèvent cependant rien à la qualité du travail de l’équipe d’Aurélie Couvreur, la commissaire de l’exposition, qui a su parfaitement mettre en exergue les échos entre les deux médiums, via une alternance entre des projections d’extraits et les tableaux accrochés.


Représenter l’invisible: le défi du 20e siècle


L’exposition s’ouvre sur un retour aux origines du cinéma. Et tout d’abord, les expérimentations visuelles - picturales ou scientifiques - de la fin du 19e siècle, qui tentèrent de capter ce qu’une image fixe ne peut: le mouvement. Nous voyons donc sur les murs les photographies d’hommes marchant de Muybridge ou celles d’Étienne-Jules Marey qui enregistrent de la fumée; mais aussi des tableaux de paysages ou de corps agités, témoignages d’un besoin pour les peintres de dépasser les limites de leur art.


Ce dépassement, nous pouvons dire qu’il fut réalisé par les frères Lumière. Loin d’être des amateurs d’un art balbutiant, ils étaient des artistes plasticiens accomplis, dont chaque court métrage est une œuvre impressionniste en mouvement. Le musée met ceci en évidence en juxtaposant leurs courts les plus célèbres avec de possibles références picturales.


À noter aussi l’installation de Daguerre qui a été ici reconstruite. Via un mécanisme que le visiteur active, un système de lumières rétro-éclaire une série de phototypes de scènes urbaines dans une vitrine; petit à petit, la lumière change et fait passer ces images du diurne au nocturne. Une expérimentation fascinante qui démontre encore une fois l’inquiétude des plasticiens de l’époque à enregistrer le passage du temps.

Le cinéma plasticien


Si une bonne partie de l’exposition s’évertue à expliciter les rapports souterrains entre arts et cinéma, il en est une autre qui rappelle que les deux formes artistiques ont également su collaborer directement. Nous le voyons par exemple dans les œuvres de Fernand Léger dont Le Ballet mécanique de 1924 est un manifeste du mouvement en images. Il collaborera d’ailleurs sur La Roue d’Abel Gance et L’Inhumaine de Marcel L’Herbier, dont il signe les décors cubistes qui rapprochent ces œuvres d’une peinture animée.


En cela l’expressionnisme allemand vient parfaire cette tendance avec Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, parangon de films caractérisés par des décors peints et des formes déséquilibrées. Un film tel que Metropolis de Fritz Lang marie en une parfaite symbiose arts plastiques et cinéma, puisque les décors et les costumes ont été conçus par des artistes visuels pour le tournage. Plus donc qu’un jeu de renvois mutuels, ces films sont des œuvres hybrides. À ne pas manquer par ailleurs la sculpture grandeur nature de l’androïde de Metropolis que le décorateur du film Walter Schulze-Mittendorff avait refaite suite à la perte du costume original – un morceau vital de l’histoire du 7e art.