Aller voir ailleurs

Le 08 avril 2020


Plutôt que de tenter une plongée dans l’offre cinématographique gargantuesque disponible en ligne pour en tirer quelques poissons juteux, le soleil des derniers jours m’a donné envie de proposer quatre regards sur le cinéma, qui, dans le flux constant actuel, représentent de petites bulles d’air salvatrices.

Le top 20 du Karloff

Pour celles et ceux qui n’étaient toujours pas au courant, le bien-aimé magasin de la rue Etraz à Lausanne a fermé ses portes mi-mars - non pas à cause du virus mais de ces raisons autres qui existaient avant le confinement. Alors pourquoi en parler ici? Parce qu’hormis une activité de chasse aux trésors pour vos beaux yeux de spectateur, poursuivie sur son site internet, l’ancien propriétaire Michael Frei nous régale depuis quelques jours sur le compte Facebook du Karloff de son top 20 cinéma. Un film, un extrait, un résumé par jour; et puis, bien sûr, la touche personnelle, souvenir, anecdote, jugement enthousiaste ou sensible qui donnent envie d’aimer les mêmes films, y compris ceux qu’on n’a pas vus. Dès lors, le suivi de ces rencontres cinématographiques prend parfois des allures de film à suspense, tant on rêve de connaître la suite de cette histoire - qui elle, est bien d’amour -, de partir sur la trace des richesses ainsi dévoilées. Et surtout, de (re)découvrir avec un émerveillement similaire les films qui, nous aussi, nous ont construits.

BBC 1 Radio - Movies With Ali Plumb

Amis anglophobes s’abstenir, c’est là un contenu uniquement disponible en langue originale. Pour les autres, si vous n’avez rien contre un peu de fascination pour les stars, n’hésitez pas. Ce podcast, dont des extraits vidéo sont accessibles sur YouTube, met le journaliste Ali Plumb face à tout ce qui fait le cinéma contemporain en termes de glamour. De Quentin Tarantino à Martin Scorsese, en passant par Emma Thompson, Scarlett Johansson, Steve Carell ou Tom Hanks, notre hôte arrive à créer une atmosphère légère qui provoque le meilleur chez ses vis-à-vis célèbres. On peut évidemment sourire d’un air narquois à ce défilé de belles têtes, et reprocher une absence de profondeur aux échanges. Mais là n’est pas le but du jeu: trouver de quoi faire rire Ryan Gosling ou se confier Gary Oldman, en un temps restreint, à mi-chemin entre mise en scène de soi et attention constante à l’autre, nécessite un certain talent. Avec complicité et un intérêt passionné, Ali Plumb y excelle. De là à dire que nous regardons ces vidéos surtout pour lui, il n’y a qu’un pas, que nous franchissons - et en sautillant - avec joie!

Médiathèque du Club 44

Qui l’aurait cru mais La Chaux-de-Fonds a vu passer un certain nombre de grands noms grâce au Club 44, fondé en 1957. Lieu de conférences de haut vol, il aura vu défiler Edgar Morin, Tzvetan Todorov, Denis de Rougemont, Nicolas Bouvier, Jean-Paul Sartre pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus connus. En ce qui concerne le cinéma, François Truffaut, Claude Autant-Lara, Claude Goretta, ou plus récemment Fernand Melgar et Ursula Meier sont aussi venus prendre la parole devant le parterre des habitués. Bienfait de la technologie, ces interventions sont gracieusement mises à disposition dans la médiathèque en ligne du Club 44. C’est l’occasion de réentendre des voix marquantes sur des sujets qui n’ont de loin pas tous perdus de leur actualité. Raison pour laquelle nous glissons, comme ça, une proposition: la conférence du 19 février 1979 qui rassemblait un beau trio en les personnes de Patricia Moraz, Magali Noël et Christine Pascal. Trois femmes de cinéma, trois parcours importants pour poser la question suivante: «Comment se fait un film?» En tout cas pas seule, d’après elles. On rappellera que derrière les Goretta, justement, Tanner et autres, il y avait aussi Moraz, Pascal et Muret, célébrées à Soleure cet hiver mais longtemps occultées. Assez pour qu’il ne reste plus que Paule Muret pour bénéficier de cette reconnaissance tardive et évoquer ce «Nouveau cinéma suisse» de l’ombre.

Blow Up 

«Evidence de l’évidence», enfin, surtout: la série Blow Up d’Arte, dont nous avions déjà parlé dans ces pages (No 741). Travail soigneux de cinéphiles aux doigts et aux choix de fées, ces montages délicieux, nostalgiques, violents ou fabuleux racontent le cinéma avec une admiration infinie. Cela n’exclut ni réflexion, ni approfondissement, seul demeure absent le dénigrement - un appel d’air bénéfique là où le jugement à l’emporte-pièce tend à dominer. Organisées autour des différentes relations au cinéma de l’équipe, ces capsules abordent ainsi la passion des acteurs, à travers la grâce de Laetitia Masson, les rapports changeants entre histoire et cinéma, déroulés avec poésie par Frédéric Bas, ou encore les promenades musicales orchestrées par Thierry Jousse dans les méandres de ses souvenirs cinématographiques - pour ne citer qu’eux. Et puis, parce qu’on est comme ça et parce qu’il est lui, il y a tout Luc Lagier : Top 5, portraits, visionnements express de films culte, jusqu’aux rares montages plus personnels. Une voix, des expressions inoubliables et un tableau kaléidoscopique, à vous donner le vertige, de ce cinéma tant aimé, dont on ne se lassera jamais. Bienvenue dans un monde parfait.

Adèle Morerod