15e FESTIVAL CINÉMAS D'AFRIQUE, LAUSANNE - 18-22 AOÛT

Le 08 septembre 2021

EN SUIVANT LES COURTS METRAGES


Contes intimistes, réflexions historiques, portraits de société, comédies, drames, documentaires ont rythmé nos déambulations par le Maroc, la Tunisie, la République centrafricaine, le Sahara occidental, le Soudan, la Namibie, le Sénégal, le Tchad, les deux Congo, l’Egypte et le Mozambique - confirmant ô combien les limites tracées par le seul mot «Afrique» sont étroites pour englober ces points de vue, ces affirmations, ces récits.


Commençons par le commencement. Est-ce parce que nous avons trop vu de représentations de l’Afrique à travers la focale de reportages formatés? Les deux documentaires qui ouvraient cette sélection de courts métrages nous ont moins emportés. Certes, ils traitent de sujets sociaux actuels et importants. Dans Lucie (Marlyse Yotomane Awa, République centrafricaine/France, 2019), la place des femmes, peu reconnue et pourtant essentielle, est mise en avant par le portrait d’une mère et épouse au caractère haut en couleur. Elle qui participe aux travaux et tente, par toute sorte d’entreprise - de la fabrication d’alcool à la récolte du manioc -, de faire vivre sa famille, semble errer vers un avenir bien incertain. Une menace similaire plane sur le protagoniste de Wakis, chasseur d’arbres (Tanguy Djaka Yarissi, République centrafricaine, 2020), qui doit aller chercher toujours plus loin les troncs qui lui permettent de faire le charbon qu’il vendra ensuite. Derrière la difficulté de ces petits métiers à perdurer, on pourrait voir un exemple intéressant du glissement insidieux d’une nature sacrée, lieu de repos, de prière et de communion à une marchandise permettant tout juste la survie. La captation des gestes liés au travail de la terre, au quotidien, présente dans les deux films, n’est elle-même pas dénuée d’intérêt. Mais peut-être leur manquait-il un propos plus affirmé pour vraiment marquer les esprits.


Face à face avec la société


Le propos social déborde cependant de loin le seul cadre du documentaire. Il infuse toutes les fictions proposées et c’est donc son traitement qui varie d’une œuvre à l’autre. Il est d’abord perçu à travers le regard de figures à la dérive, faisant de problèmes systémiques une expérience radicalement intime. Dans Le Bain (Anissa Daoud, Tunisie, 2020), qui raconte les quelques jours partagés par un père et son fils, le quotidien facile se distord peu à peu pour laisser place à l’indicible. Alternant entre le point de vue de l’enfant, baladé dans les marchés à hauteur d’étalages, et celui du père, assailli par les visions de son passé d’enfant violé, cette œuvre d’une sensibilité rare dessine la voie d’une possible reconstruction. Comme les racines de l’arbre qui accompagne le générique, l’inceste est un mal ancré profondément: la réalisatrice tunisienne participe ainsi à l’ouverture d’une parole nécessaire. Sër Bi (Moly Kane, Sénégal/France, 2020) aborde un autre tabou: la virginité obligatoire au moment du mariage. On suivra donc le parcours désespéré de Zuzana sur la journée qui précède la noce, sommée par sa mère de «retrouver» ce précieux bien. Ni la médecine, ni les marabouts, ni son amant ne pourront lui venir en aide. Ils n’ont que le rejet, l’indifférence ou la souffrance à lui proposer. Tout comme le film, le visage fermé de l’impressionnante Madjiguene Seck, qui interprète la jeune femme, semble dire qu’il n’y a pas d’issue - mais jusqu’au bout, elle refuse de renoncer à son intégrité. Pas plus d’espoir pour le jeune homme de I Am Afraid To Forget Your Face (Sameh Alaa, Egypte/France, 2020), séparé de celle qu’il aime par les traditions et qui ne la retrouvera que trop tard.


Certaines œuvres offrent une respiration bienvenue, non pas en termes de sujets mais de forme, en délaissant les plans serrés pour des images symboliques (Invisibles, Joël Haikali, Namibie, 2019) ou alors pour l’animation. La beauté minérale de Machini (Tétshim et Frank Mukunday, Congo-Brazzaville, 2019) saisit à la gorge. Film envoûtant, réalisé à l’aide de cailloux, de sable et de dessins à la craie, il compose un monde programmé pour la destruction. Comme sous l’emprise de la bande sonore qui résonne autant à la manière d’un cri que d’un cliquetis de machine, les êtres-pierre se désagrègent alors que la pollution envahit les cases, les chantiers, et que l’exploitation de matières premières accomplit son rituel de mort. Et nous rappelle que ceux qui en agitent les manettes sont installés confortablement chez nous. C’est la décrépitude des structures - éducatives, sociales ou économiques - que racontent à leur tour 1er octobre (Guelbi Emmanuel Manna, Tchad, 2018) et Nightshift (Karim Shaaban, Egypte/France, 2020), huis clos assez classique où un jeune employé de télécommunication doit faire face aux insultes de son interlocuteur. Mise en doute d’un système où la responsabilité retombe sur ceux qui ont le moins de pouvoir, le film compte trop sur un montage rapide pour dynamiser l’action, alors que le cadre de base - bureau sombre et anxiogène, impossibilité pour l’employé de quitter son poste ou de demander de l’aide - suffisait largement.


Résistances


Bien que les drames aient dominé la sélection, Sukar (Ilias El Faris, Maroc/France, 2019) et Searching For Tirfas (Lafdal Mohamed Saleh, Sahara occidental, 2020) étaient là pour prouver que l’humour est décidément une arme redoutable face aux dérives du système. Dans un format de carte postale aux couleurs tendres, Ilias El Faris (voir l’interview dans CF n. 796, p. 20) entremêle les rapprochements entre deux enfants aux divers événements d’une journée à la plage. Alors que la tension monte entre un vendeur de beignets et un maître-nageur, la police viendra plutôt interrompre les baisers timides des amoureux. La poésie des plans, souvent fixes et décalés, l’innocence enfantine, la douceur du cadre se heurtent à l’absurdité de ce déploiement de force - pour le rendre au final insignifiant face à l’amour naissant et aux éclats de rire. Malheureusement, la résistance n’est pas toujours possible. Pour Adil, l’été 2004 marque le retour de son père au Maroc et la perspective de devoir quitter ses amis, sa banlieue et surtout sa mère pour le suivre en France. Le Départ (Saïd Hamich Benlarbi, Maroc/France, 2020) a le goût doux-amer de ces enfances qui s’interrompent entre deux continents. Magistralement filmé et interprété, il met lui aussi en écho le regard des enfants avec les projets des adultes: est-ce que le retour est possible?


Toufa (Brahim Chagaf, Sahara occidental/Algérie, 2020) et Journée noire (Yoro Mbaye, Sénégal, 2019) ont tous deux été pensés par leurs réalisateurs comme un moyen de se battre, contre les injustices, contre l’oubli. Après la mort de plusieurs de ses camarades étudiants qui manifestaient pour leurs droits, Yoro Mbaye a décidé de témoigner, par la caméra, de leur lutte. Rassemblant tant bien que mal l’équipe nécessaire, évitant les écueils administratifs et la police, il a mis en scène son récit en parallèle des véritables affrontements, les filmant aussi quand il le pouvait. Ainsi, images prises sur le vif et vision personnelle se combinent pour porter la voix de ceux qui en sont privés. L’occasion aussi de rendre hommage à la solidarité de ces jeunes, qui malgré le manque d’argent, la promiscuité extrême, partagent le peu qu’ils ont afin que chacun et chacune puisse mener ses études. Brahim Chagaf tente un autre alliage: des images brutes, tournées avec les moyens du bord mais pour raconter quelque chose qui s’apparente au conte. Au cœur du Sahara, les femmes et enfants saharaouis attendent la fin des conflits qui menacent leur peuple. Ces déportés - dont la majorité vit encore dans des camps de réfugiés - tentent de recréer une vie au milieu de rien. Une jeune fille, dont le passé résonne encore des horreurs vécues, contemple de loin les efforts des femmes pour s’organiser et confie l’histoire de ses peurs et de son peuple au sable. Et au spectateur, car c’est sa voix qui guide le récit, redonnant ainsi un peu de pouvoir à ses figures de l’ombre qui peuvent enfin se réapproprier leur histoire.


Ecrire l’histoire


Car la question du rapport au passé revient constamment. Monologues With The History (Sol de Carvalho, Mozambique/Portugal, 2020), E’Ville (Bob Nelson Makengo, RDC, 2018) et Tabaski (Laurence Attali, Sénégal/France, 2019) convoquent les hauts personnages de l’histoire africaine, que ce soit par des photographies, des archives radio ou, dans le cas de Monologues, à travers les retrouvailles entre un fils et son père décédé, représentant métaphorique des anciens leaders communistes. Comme dans E’Ville, les pièces abandonnées d’une maison marquée par le passage du temps, et dans lesquelles erre la caméra, contiennent beaucoup de fantômes et peu de réponses pour l’avenir. Ces présences impalpables semblent dire la difficulté de retracer une histoire qui a été dépouillée, morcelée, redessinée par les colonisateurs. Les films eux-mêmes peinent à s’en libérer, comme en témoignent les pays coproducteurs inscrits aux génériques de la plupart des œuvres. Néanmoins, le cinéma - et la peinture dans le cas de Tabaski qui met en scène l’artiste sénégalais Camara Guèye - peut être un moyen d’inverser les représentations, de mettre en place d’autres récits avec d’autres narrateurs. C’est ce que tente Journey To Kenya (Ibrahim Ahmad, Soudan, 2020), en apparence simple documentaire qui retrace la course contre la montre d’une équipe d’athlètes soudanais pour participer aux championnats de jiu-jitsu. Derrière la joie naïve des sportifs et une série classique d’interviews alternant avec les scènes du périple, se cache la volonté du réalisateur de tracer un portrait fier de son pays. De choisir l’espoir et la force de la communauté comme couleurs pour l’avenir.


Ce que nous retiendrons de façon plus subreptice, intime, comme autant d’échos insoupçonnés entre les œuvres, c’est que les baskets constituent un lien d’amitié indéfectible (Journée noire; Le Départ), qu’un petit tas de sable peut contenir tout un monde à condition de le voir avec des yeux d’enfants (Toufa; Sukar; Wakis, chasseur d’arbres) et que malgré leur fragilité apparente, les silhouettes féminines qui traversent ces films portant de lourdes charges (Sër Bi; Lucie; Les Invisibles) ne sont pas prêtes de s’effondrer.


Adèle Morerod