Cannes 2017 - Quinzaine des réalisateurs

Le 03 juin 2017

Cette section, appelée par les festivaliers la «Quinzaine » est une sélection parallèle créée en 1969, après les événements de Mai 68 (qui ont provoqué l'interruption du festival cette année-là). Elle est organisée par la Société des réalisateurs de films. 

Cette sélection est totalement indépendante du festival de Cannes, organisée à l'origine pour concurrencer et montrer aux spectateurs des films de tout horizon, réalisés par des cinéastes inconnus. Elle permet de découvrir de nouveaux talents et a révélé par exemple Georges Lucas, les frères Dardenne, Ken Loach, Michael Haneke, Spike Lee.
Cette sélection n’est pas compétitive mais certains prix sont remis par les partenaires, tels que le Prix « Regards jeunes » ou encore le Prix SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) pour le scénario.
Dès 2011, la Quinzaine est dirigée par Edouard Waintrop, qui était le directeur artistique du Festival international du Film de Fribourg.

Amant1Jour1L’Amant d’un jour de Philippe Garrel

France, 2017. Avec Esther Garrel, Louise Chevillotte, Eric Caravaca. Drame. Durée : 1h.16'.

L’Amant d’un jour est le dernier volet d’une trilogie en noir-blanc, débutée avec La Jalousie en 2013, puis continuée L’Ombre des femmes en 2015. Philippe Garrel se penche une fois encore sur le réseau inextricable, et inexpliquable, des sentiments amoureux. Sans prétendre pour autant donner de réponse, le réalisateur met en place pour mieux observer ce qui se déploie : un professeur de philosophie et deux femmes, sa fille qui arrive chez lui après une rupture et sa maîtresse qui est aussi son étudiante, et les rapports qui se nouent, peu à peu.
Plus que d’observer, même, il magnifie. Les visages, les émotions sont sculptés par la lumière sensible de Renato Berta (chef opérateur régulier de Resnais ou de Straub et Huillet entre autres), tout en sobriété, et par le regard sensible de Garrel. Surtout ceux des deux actrices, absolument saisissantes ! Car si le titre évoque les hommes, en tout cas ceux qui traversent la vie d’Ariane, l’étudiante, c’est la relation entre les jeunes filles, du même âge, qui emplit le film. Alors que leurs parcours entrent en écho, parfois inversé, c’est avant tout leur force qui éclate face à des figures masculines dépassées par les événements. Si les mots ne parviennent pas toujours à masquer les fragilités, voire à empêcher les drames, la tendresse qui unit ces femmes, un temps, éclipse tout le reste.
Ode à une féminité en lutte contre les limites qui lui sont imposées, y compris par elle-même, L’Amant d’un jour refuse de se laisser pleinement englober sur le moment, pour mieux continuer de répandre sa poésie et sa belle mélancolie, bien après les dernières images. (AM)

BeauSoleilInt2Un beau soleil intérieur de Claire Denis

France, 2017. Avec Juliette Binoche, Nicolas Duvauchelle, Xavier Beauvois, Bruno Podalydès. Comédie. Durée : 1h.34'.

Un beau soleil intérieur suit les déboires d’Isabelle, artiste qui tombe amoureuse, d’hommes en hommes. Toujours déçue par le retour, immanquable, au réel, elle se questionne sur les occasions de refaire encore une vie à son âge. Elle semble en tout cas toujours choisir des histoires qui ne peuvent aboutir.
La réalisatrice Claire Denis trace, avec la complicité d’une Juliette Binoche agaçante juste ce qu’il faut, le portrait d’une femme prise dans un cercle vicieux qu’elle ne peut briser. Mais plus intéressant encore, c’est la toile des discours qui semblent la contraindre. En effet, Isabelle, comme celles et ceux surtout qui l’entourent, est traversée de conseils, de phrases et de questionnements mille fois entendus qui étouffent tous les sentiments en tentant de les expliquer. Même l’acte physique, qui fait croire un instant à un retour de la sincérité, finit par être parasité par la parole. En cela, Un beau soleil intérieur se présente comme le contrepoint total de Vendredi soir (2002), l’autre film de « romance » de la cinéaste, lui aussi récit d’une rencontre mais dans le silence et les gestes.
Avec humour, le film joue sur les répétitions, d’actions et de mots, jusqu’à l’absurde, jusqu’à la vacuité. Mais ne risque-t-il pas lui-même de se vider de tout son sens ? C’est un peu la sensation que l’on a en regardant ces grands enfants se déchirer malgré eux. Et pourtant, ce qu’ils vivent n’est que le reflet de bien des situations réelles. (AM)

 

Cuori Puri de Roberto de PaolisCuoriPuri1

Italie, 2017. Avec : Selene Caramazza, Simone Liberati, Barbora Bobulova, Stefano Fresi. Drame. Durée : 1h.55'.

Cuori Puri nous entraîne dans un monde de barrières. Agnese est une jeune fille appartenant à une communauté très croyante. Stefano, lui, vit de petits boulots, toujours au bord de la précarité. Ils se rencontrent de manière pour le moins inhabituelle, lorsque Agnese vole un téléphone dans le supermarché où il est gardien. Les dés sont jetés, ils seront amenés à se retrouver et à s’aimer, malgré les obstacles qui s’élèvent autour d’eux, et en eux.
Les barrières, ce sont déjà celles du parking où Stefano travaille et qui le séparent d’un camp de gitans. Ce sont les mêmes qui se mettent entre lui et Agnese lors de leurs premières retrouvailles. Mais ce sont surtout des barrières mentales : celle des règles imposées par une mère possessive pour Agnese, celle d’une enfance meurtrie pour Stefano. Enfin, celle qui existe entre les êtres, lorsque règne l’incompréhension de l’autre. Il faut alors toute l’innocence de ces deux jeunes pour parvenir à les déplacer, un peu, brièvement.
Filmés par une caméra tournoyante, ils apprennent donc à se découvrir mais aussi à élargir leur vision du monde. C’est peut-être là toutefois que le message du film se perd un peu. Entre les sermons drôles et sensibles du prêtre et les débordements de la mère, entre la réalité sombre des quartiers pauvres et l’amour pur des amants, on ne saurait trop dire quel constat le réalisateur cherche à faire. Une chose est sûre, c’est que les « cœurs purs » tracent leur propre chemin. A bout de souffle. (AM)

FloridaProject2The Florida Project de Sean Baker

Etats-Unis, 2017. Avec Willem Dafoe, Brooklynn Prince, Valeria Cotto, Bria Vinaite. Drame. Durée : 1h.55'.

Moonee, 7 ans, fait les quatre cents coups dans les environs du motel où elle vit avec sa mère, Halley, de 22 ans. Accompagnées de ses amis, elle redessine un univers enchanté là où règnent avant dénuement et combines pas très nettes. Chaque nouvel arrivant ou repas obtenu gratuitement est l’occasion de fête et de jeux, parfois un peu dangereux. Mais de fait, la friction avec la réalité se fait de plus en plus menaçante.
Dans les couleurs pop de la Floride, Sean Baker explore cette enfance sauvage, qui reconstruit pourtant les mêmes codes, quelque soit son cadre. Guère plus adaptée au monde des adultes, la jeune maman est en quelque sorte le pont par lequel tous les malheurs arrivent. Se démenant comme elle peut pour faire vivre sa fille tout en se moquant des règles, elle finit par être rattrapée par sa situation. Le poids de ce destin finit immanquablement par briser la bulle de rêves dans laquelle évoluent les enfants. La petite Brooklynn Prince, fascinante, incarne parfaitement ce mélange d’indécence et d’innocence propre à son âge. A noter aussi Willem Dafoe dans le rôle touchant du manager du motel, qui régit son domaine avec agacement et tendresse, lui-même un peu loser, comme tous ceux qui l’entourent.
La fin du film, sorte de respiration suspendue, ne fait pas oublier le constat sombre porté par le réalisateur. Aucun jugement n’est porté sur les personnages, prisonniers d’un système où la violence et la pauvreté sont imposées même aux plus jeunes. (AM)

Frost2Frost de Sharunas Bartas

Lituanie/France, 2017. Avec : Mantas Janciauskas, Lyia Maknaviciute, Andrzej Chyra, Vanessa Paradis. Drame. Durée : 2h.12'.

Voici un film qui nous emmène dans les régions glacées d’Ukraine, à la suite d’un jeune couple, Rokas et Inga, volontaires malgré eux pour aller porter du matériel aux soldats. Sur leur route, ils vont croiser différentes figures, plus ou moins rassurantes, qui ont chacune leur point de vue sur le conflit. Par ailleurs, ils peinent à se rapprocher l’un de l’autre.
Dans ce drôle de mélange entre Jarhead et Voyage en Italie, mais à la sauce lituanienne, Sharunas Barkas tente de mêler parcours intime et grande histoire. C’est malheureusement peu convaincant. L’égoïsme du protagoniste masculin, dont l’entêtement sot les entraîne toujours plus loin vers le conflit, le rend assez détestable. Difficile dès lors de s’intéresser vraiment à sa relation avec Inga, personnage trop peu développé par ailleurs. Si les éclairages sur la situation géo-politique de l’Ukraine – apparaissant au fil de leurs diverses rencontres – montrent toute la complexité de cette sombre réalité, cela ne suffit pas pour emporter le spectateur. Dommage, car le rythme extrêmement lent des plans et les moments de dialogues filmés en continu ou presque créent une sorte de fascination. Un choix formel qu’on aurait aimé voir accolé à un récit mieux construit. (AM)

 

L’Intrusa de Leonardo Di ConstanzoIntrusa2

Italie, 2017. Avec : Raffaella Giordano, Valentina Vannino, Martina Abbate, Gianni Vastarella. Drame. Durée : 1h35. Quinzaine des réalisateurs

Dans la banlieue napolitaine, Giovanna a crée un centre pour les enfants en difficulté du quartier. Situé en plein milieu de la zone où police et Camorra s’affrontent, il incarne un lieu d’espoir pour les familles, qui y voient une forme de victoire sur la loi brutale imposée par la mafia. Toutefois, ce fragile équilibre est mis en péril le jour où Giovanna accepte de loger une jeune femme et ses deux enfants, aux connexions peu claires. Les tensions qui en découlent la placent devant un dilemme moral important.
Ayant choisi de travailler presque uniquement avec des gens qui viennent justement du social, Leonardo Di Constanzo a la bonne idée de laisser les dynamiques se déployer dans le silence et de longs plans. Les regards et tout ce qu’ils traduisent de conflits intérieurs sont ainsi décuplés. Mais c’est aussi l’occasion de faire de la place pour l’anodin, le quotidien, dans lequel les personnages et leurs interprètes se révèlent pleinement.
Mais c’est avant tout le rejet de l’autre qui intéresse le réalisateur, comme l’annonce déjà le titre du film. Il démontre avec subtilité comment ce que l’on incarne prime sur ce que l’on est, pour autant qu’on soit associé au mauvais parti. Cependant, à la pression du groupe s’oppose la détermination des justes – avant tout le personnage magnifique de Giovanna, incarnée tout en retenue par Raffaella Giordano –, de ceux qui croient en l’accueil d’autrui. Comme fondement humain et peut-être, comme possibilité pour chacun d’en ressortir grandi. (AM)

Jeannette l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno DumontJeannette lenfance de Jeanne dArc

France, 2017. Avec Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin, Lucile Gauthier, Aline Charles, Elise Charles. Comédie musicale. Durée : 1h.45'.

Revenir sur les pas d’une figure aussi iconique de l’Histoire française était un pari risqué. Eh bien, il est impossible de dire si le pari est réussi ou non, tant le dernier film de Bruno Dumont est un ovni. Spécialiste des univers décalés, où humour et étrange, voire macabre, se côtoient sans soucis, il choisit avec Jeannette de revenir sur les premières années de celle qui deviendra la Pucelle.
Dumont pose son paysage comme un tableau – carré –, toile de fond, entre sable et rivière, sur laquelle viennent s’épingler les personnages. Puis, on coupe, on déchire. Par la danse et les chants d’abord, qui font des prières inspirées de la petite Jeanne les expressions presque païennes d’un élan encore à deviner. Par le montage ensuite, qui détache les mains, les pieds, les visages recouverts de cheveux. Le rythme entêtant ainsi créé, appuyé par la musique d’Igorrr, finit par entraîner le spectateur dans une espèce de transe ; s’il accepte du moins de se laisser saisir, car le film a aussi ses longueurs, malgré quelques morceaux comiques qui combinent notamment saints éclairés et moutons bêleurs.
Toutefois, difficile de ne pas entendre aussi, dans les déclarations face caméra de Jeannette, une dimension actuelle indéniable. L’engagement, le refus de la peur, l’amour pour les autres : autant de questions qui, dans ce récit initiatique, mêlent histoire et parcours intime. C’est finalement une belle manière, originale qui plus est, de reconsidérer cette Jeanne d’Arc : lui attribuer enfin le statut de jeune fille en devenir. (AM)

MobileHomes2Mobile Homes de Vladimir de Fontenay

Canada/France, 2017. Avec Imogen Poots, Callum Turner, Frank Oulton, Callum Keith Rennie. Drame. Durée : 1h.46'.

Evan et Ali forment, avec Bone, le fils de cette dernière, une famille, chaotique, sans racine, de bric et de broc mais une famille quand même. Vivant de combines pas toujours très légales, ils essaient par ailleurs de habiter leur jeunesse dans une forme de liberté toujours sur le fil. La forme d’éducation qui en découle pour le petit garçon est pour le moins aléatoire, parfois dangereuse. Un soir, tout dérape et Ali et Bone prennent la fuite. Ils se retrouvent au matin dans une maison mobile, qu’on est en train d’acheminer vers son lieu d’installation. Là-bas, ils découvrent le propriétaire de la maison, qui les héberge, et toute une vie communautaire. Un nouveau départ semble possible, loin de la précarité et de la course sans fin qu’ils ont connues jusque-là.
A travers les neiges du Canada, Mobile Homes suit avec passion le parcours de ces êtres sans repos. Même quand un bonheur fragile se dessine, il apparaît qu’ils ne peuvent que le détruire, malgré eux. La métaphore de l’Arche de Noé, qui traverse le film, prend tout son sens face à leur quête d’appartenance, de tranquillité sans cesse menacée par la tempête. On croit volontiers le réalisateur (dont c’est le second long-métrage, à 29 ans !) lorsqu’il dit avoir choisi ces personnages pour le miroir qu’ils nous tendent. De par leurs sentiments, leurs échecs, ils nous sont en effet bien proches, quand bien même ils ne se révèlent que progressivement à notre regard. Mais Vladimir de Fontenay suit surtout la lente prise de conscience d’Ali vis-à-vis de son fils. Si l’acquisition du sentiment maternel se fait par la perte de l’innocence, cela ne change rien au fait qu’on espère jusqu’au bout voir triompher ce duo mère-fils bouleversant. (AM)

Ôtez-moi d’un doute de Carine TardieuOtezMoiDoute2

France, 2017. Avec François Damiens, Cécile de France, André Wilms, Guy Marchand, Alice de Lencquesaing. Comédie. Durée : 1h.40'.

Erwan est démineur. Quand il ne s’occupe pas de bombes, il essaie de gérer sa fille, enceinte et déterminée à élever son enfant seule. Tout cela, c’était sans compter une bombe d’un autre genre : des résultats médicaux lui apprennent que son père n’est pas son géniteur. Bouleversé par la nouvelle, il part à la découverte de cet étranger dont il ne savait rien. En chemin, il fait la connaissance d’Anna, une drôle de femme qui lui fait chavirer le cœur.
Le synopsis du film l’annonce déjà, Ôtez-moi d’un doute est une comédie inoffensive au titre charmant et à la trame narrative propice aux quiproquos. Malheureusement, ça s’arrête plus ou moins là. Malgré quelques passages comiques réussis, surtout quand ils sont poussés dans l’absurde – notamment une scène de pluie avec un sanglier de trop –, les clichés ne sont pas évités. Thématique centrale du film, les rapports de filiation sont traités de manière un peu superficielle. L’originalité de la situation ne garantit en effet pas tout. Il en est de même du couple principal, qui peine à convaincre. Alors, il ne reste plus qu’à se délecter des performances d’André Wilms et Guy Marchand, délicieux de malice en pères quelque peu dépassés, et à saluer la fougue d’Alice de Lencquesaing, qui nous offre, sur une chanson de Reggiani, la plus belle scène du film. De plus en plus présente ces derniers temps (notamment avec Frantz et Noces), elle est, elle, à ne pas oublier ! (AM)


The Rider de Chloé ZhaoRider2

Etats-Unis, 2017. Avec : Brady Jandreau, Tim Jandreau, Lilly Jandreau, Lane Scott, Cat Clifford. Drame. Durée : 1h.40'.

Le bruit d’une respiration, la poussière, l’éclat d’un oeil. Les premiers plans annoncent ce que la suite du film n’aura de cesse d’évoquer : l’immensité contenue dans un tressaillement, comme dans les huit secondes d’une monte de rodéo. Brady a eu le crâne défoncé par les sabots de son cheval lors d’une compétition. Alors qu’il voit s’éloigner toujours davantage la possibilité de remonter, c’est tout son avenir qu’il doit redessiner. Et quelle voie s’ouvre quand toute votre vie tourne autour des chevaux ?
Sur les terres de Pine Ridge, réserve du Dakota, Chloé Zhao suit ce cow-boy inhabituel dans sa quête d’un nouveau départ. Les obstacles se multiplient pourtant – du père dépensier et indifférent aux maux qui le paralysent –, créant une tension continue. Maîtrisée parfaitement d’un bout à l’autre du film, elle laisse sans cesse présager le drame. Mais ce serait sans compter sur la détermination du protagoniste qui se relève toujours. Il semble habité, sous la surface, du même souffle que les espaces sans fin qui l’entourent. On croit volontiers la réalisatrice quand elle dit qu’ils donnent davantage le sens de l’identité que de l’immensité. Car ce qu’elle filme n’est que partiellement fiction. Il y a bien un Brady, cow-boy blessé, il y a bien une communauté vivant pour le dressage et le rodéo. Ayant recontré les protagonistes principaux dans le cadre de son dernier film, Songs My Brother Taught Me, elle a vécu à leurs côtés pour ensuite construire avec eux ce portrait sensible et puissant d’un monde dans le grand vent.
On comprend alors le sentiment de vérité brute qui se détache de ces êtres déchirés par la vie, qui refusent cependant que la chevauchée s’arrête là. Et l’émotion continue de nous étreindre, bien après. (AM)


 WestJordanRiver1West of the Jordan River (Field Diary Revisited) d'Amos Gitaï

Israël/France, 2017. Documentaire. Durée : 1h.24'.

Des gens ôtent d’un mur blanc des photographies encadrées, pour les remplacer par d’autres. Traces d’une histoire complexe mais aussi d’une mémoire à redécouvrir pour le réalisateur Amos Gitaï. En effet, avec West of the Jordan River, il revient sur une œuvre précédente, Field Diary, mais aussi sur la situation de son pays, vingt ans après ce premier documentaire. Au centre se trouve la question du partage des terres, que le gouvernement actuel refuse de voir comme une occupation violente vis-à-vis des populations. Présentant d’abord de manière brute les images de 1994 et celles de 2016, peu à peu, il introduit de l’ordre pour dégager une problématique, en partie personnelle : l’inquiétude face à la montée de positions extrêmistes en Israël.
Le cinéaste va donc à la rencontre de groupes et d’individus qui appellent de leurs vœux la paix, alternant ainsi entretiens et visites sur place. Pourtant, même là, des dissensions apparaissent. La construction d’un idéal commun ne va décidément pas de soi, quand bien même il ne s’agit pas d’une utopie mais d’un état souhaitable et réalisable – comme le rappelle une députée. Que dire en effet d’un pays où vivre ensemble, pouvoir partager un quotidien semblent tenir du conte de fée ? D’un lieu où le futur le plus enviable aux yeux des enfants est de mourir en martyr « parce que c’est mieux » ?
Face à des constatations plutôt sombres, Amos Gitaï interroge, sonde ce pays qu’il aime tant pour montrer que cette construction de paix, certains y travaillent déjà. Certaines surtout, car les femmes sont les porteuses essentielles de tolérance et d’espoir. Que ce soit dans des groupes qui partagent le souvenir des disparus ou plus radicalement, qui encouragent les femmes à filmer les exactions commises par les uns et les autres, des bulles de communion se forment, au delà de la douleur. Contre elle. Et peut-être alors qu’un jour, le monde se réveillera. (AM)