Cannes 2016 - Un certain regard

Le 04 juin 2016

Un Certain Regard 2016 a proposé dans sa compétition 18 films venus de 20 pays différents. Sept d’entre eux étaient des premiers films. Le film d’Ouverture était Eshtebak (Clash) de Mohamed Diab.

Un Certain Regard (UCR) fut créé en 1978 par Gilles Jacob (délégué général du festival), cette compétition dérivée de la sélection officielle propose une vingtaine d’œuvres originales favorisant de nouveaux talents encore méconnus. Le prix de la «Caméra d'or» a été créé la même année également dans ce sens, pour récompenser un premier long métrage.

Il faudra attendre cependant 1998 pour que cette sélection devienne compétitive. Cette section parallèle offre une vision différente, à savoir un voyage à travers la culture des autres pays. Le prix décerné est financé par la Fondation Gan (La Fondation Gan pour le Cinéma est l’un des principaux partenaires privés du cinéma français. Depuis bientôt 30 ans, elle s’engage auprès des créateurs et les accompagne dans la diffusion de leurs œuvres) et le distributeur reçoit une récompense sous forme de rétribution financière.

UCR Jury2016Le Jury

La Présidente: Marthe Keller (Actrice suisse), Jessica Hausner (Réalisatrice, productrice autrichienne), Diego Luna (Acteur, réalisateur, producteur mexicain), Ruben Östlund (Réalisateur suédois), Céline Sallette (Actrice française).

Le Jury pour «La Caméra d'Or»: la Présidente: Catherine Corsini (Réalisatrice, actrice, scénariste française), Jean-Christophe Berjon (Syndicat Français de la Critique de Cinéma – SFCC), Alexander Rodnyansky (Producteur), Isabelle Frilley (Fédération des Industries du Cinéma, de l'audiovisuel er du Mulrimédia – FICAM), Jean-Marie Dreujou (Association Française des directeurs de la photographie Cinématographique – AFC).

 

Palmarès

Prix Un Certain Regard: Hymyilevä MiesYMYILEVÄ MIES (The Happiest Day in the Life of Olli Mäki) de Juho Kuosmanen

Prix du Jury : Fuchi ni Tatsu (Harmonium) de Fukada Kôji

Prix de la Mise en Scène : Matt Ross pour Captain Fantastic

Prix du Meilleur Scénario : Delphine Coulin & Muriel Coulin pour Voir du pays (Stopover)

Prix Spécial Un Certain Regard : La Tortue rouge (The Red Turtle) de Michael Dudok de Wit

 

Les dix-huit films en compétition

Apprentice de Boo Junfeng

Singapour, Allemagne, France, Hong Kong, Quatar, 2016. Avec Fir Rahman, Wan Hanafi Su, Mastura Ahmad. Drame carcéral. Durée: 1h36
Le sujet de la peine de mort abordée du point de vue d'un bourreau et non pas d'un condamné… un angle audacieux pour un film réussi

Apprentice1Pour son deuxième film, Boo Jufeng aborde la thématique de la  peine de mort à Singapour, qui est la sanction non seulement pour un meurtrier mais également pour un trafiquant de drogue. Avec 5,3 millions d’habitants, Singapour a l’un des taux d’exécution capitale par habitant le plus élevé au monde avec environ quatre cent vingt détenus pendus entre 1991 et 2004, selon Amnesty International. Ce film permet de montrer la rigueur des lois et du système à Singapour, avec ses dérives. Et le cinéaste d'ajouter: « La peine de mort, ça rassure nos concitoyens : les criminels disparaissent, ils ne sont plus un problème».
Un jeune gardien, Aiman, se retrouve être l'adjoint de Rahim, le bourreau en chef, pour l'assister dans le déroulement d'une pendaison. Le père d'Aiman, assassin reconnu coupable, a subi le même sort. Le jeune homme cache son identité pour être accepté à ce poste. Il désire découvrir ce qu'il se passe dans le couloir de la mort afin de tenter de comprendre ce que son père a vécu. Entre le deux hommes s'installe une relation étrange: Rahim admire le sang froid et le professionnalisme d'Aidam. Ce dernier, quant à lui, découvre un chef consciencieux, gentil avec les condamnés, essayant de les apaiser, mais détaché. «Comment décrire un bourreau humain et attachant ?» est la question que partage le réalisateur dans le dossier de presse. En effet, le récit présente un homme qui fait son métier, sans remord car il est en mesure de justifier moralement son acte. Le personnage d'Aiman a davantage de doute, de par son histoire. Ses sentiments contradictoires sur la peine de mort reflètent également les interrogations de la plupart des gens. Son désir de travailler du côté de la loi est une façon de se démarquer de son père et de se débarrasser des fantômes qui le hantent. Mais ayant lui-même été délinquant, il s'en est sorti et pense que tout le monde peut changer et évoluer.
Ce film manque peut-être parfois de vraisemblance mais ce n'est pas important car il soulève de bonnes questions. La loi est la loi, un bon exécutant est finalement un bon fonctionnaire, faisant le bien pour la société puisqu'il applique les décisions de justice. Pour un bourreau, la réflexion doit s'arrêter là. Cette profession est incompatible avec le doute, ce qui est le cas pour Aiman...
La principale qualité de ce film est la description du métier de bourreau : le rituel décrivant minutieusement le déroulement d'une pendaison, jusqu'à la manière de faire le nœud pour éviter au condamné de souffrir, est glaçante mais rassure sur le fait que la mort est instantanée et indolore. Le spectateur passe son temps avec les geôliers et très peu avec les prisonniers, une situation assez rare dans les œuvres traitant du milieu carcéral.  (NR, 15)

 

Après la tempête de Kore-Eda HirozakuApresLaTempete2

(Humi Yorimo Mda Furaku) Japon, 2016. Avec Abe Hisroshi, Maki Yoko, Yoshizawa Taiko, Kiki Kirin. Comédie dramatique. Durée: 2h.

Après Tel père, tel fils (2013) et surtout le somptueux Notre petite sœur (2015), autant dire que le réalisateur japonais était très attendu sur la Croisette avec sa nouvelle œuvre. Il est certain que le talent de Kore-Eda n'est plus à prouver, et que si Après la tempête se laisse savourer avec plaisir, ce film déçoit.
L'histoire narre le quotidien d'un père de famille divorcé, Ryota, qui accumule les désillusions après avoir écrit un roman et connu un succès littéraire. Son addiction au jeu lui fait prendre les mauvaises décisions et il perd le peu d'argent qu'il gagne, ne pouvant pas payer la pension alimentaire et subvenir aux besoins de sa famille. Séparé de son fils, il tente de gagner sa confiance et d'obtenir une place dans son existence. La communication avec son ex-femme est difficile et les tensions sont perceptibles. Lors d'une soirée chez la mère de notre héros malheureux, un typhon contraint tout se petit monde à rester ensemble durant une nuit entière…
Certes, le sujet sans être original n'est pas dénué d'intérêt. La grande force de ce long métrage est de découvrir la vie dans une cité HLM à Tokyo, là où vit la maman de Ryota. Le réalisateur y a lui même passé une grande partie de son existence (de 9 à 28 ans). Kore-Eda explique que ces complexes ont été construits partout au Japon et que les gens souhaitaient tous y demeurer. A ce jour, les bâtiments sont vétustes, voire délabrées, peuplés par des habitants désillusionnés. Malgré la grandeur de ce genre de quartier, les personnages semblent complètement isolés du monde extérieur.
Le film est un peu long, manque d'énergie pour vraiment retenir notre attention. Le personnage de la mère est vraiment sympathique, vive et rapide quand il s'agit d'envoyer des vannes cinglantes sur son mari ou sur la famille. Mais malgré quelques très bons passages, ce long métrage est une petite cuvée dans la filmographie du cinéaste nippon. (NR, 12)

Beyond The Mountains an Hill d'Eran Kolirin BeyondMoutainsHills2

(Me'ever Laharim Vehagvaot) Israël, 2016. Avec Alon Pdut, Noam Imber, Yoav Rotman, Mili Eshet, Shiree Nadav Naor. Drame familial. Durée: 1h30.

Après le magnifique film La Visite de la fanfare en 2007, Eran Kolirin revient avec un drame familial malheureusement mal inspiré. L'histoire raconte le retour de David dans sa famille après avoir servi dans l'armée durant 27 ans. Il est désorienté et cherche à se réinsérer dans la vie civile. Il entreprend de travailler dans une entreprise qui vend des compléments alimentaires, un job qui ne lui convient guère. Sombre et démoralisé, il tire en l'air sans se rendre compte qu'il abat un jeune arabe accidentellement. De son côté, sa fille entretient des relations avec un palestinien, au point d'attirer les soupçons de la police. La mère, quant à elle, enseignante, succombe au charme d'un élève de sa classe. Enfin, le fils aîné, plutôt brave garçon, va commettre l'irréparable pour sauver l'honneur des siens. Cette famille bourgeoise, propre en ordre, agit de manière irresponsable sans se remettre en question, loin d'être rongée par le remord.
Ce portrait d'une société immorale qui vit dans un malaise perpétuel est façonné à la manière d'un exposé, soit de dénoncer un maximum de choses en un minimum de temps, perdant finalement tout intérêt. Le tableau de cette famille israélienne décadente ne laisse aucune illusion quant à la noirceur de l'être humain. Le réalisateur pousse l'ironie lorsque que la famille se fait arrêter pour un simple stop grillé alors qu'elle a commis un certain nombre d'horreurs sans être réellement inquiétée. La volonté de nous décrire un monde pourri dont on n'a plus rien à attendre est certes présente, mais la morale de l'histoire n'est pas très claire: en effet, le cinéaste semble disculper ses personnages, comme s'il souhaitait laisser le spectateur se faire sa propre opinion sur les responsabilités des protagonistes.  (NR, 9)

CaptainFantastic2Captain Fantastic de Matt Ross

USA, 2016. Avec Viggo Mortensen, Frank Langella, George Mackay, Kathryn Hahn, Steve Zahn. Comédie dramatique. Durée: 2h.

Matt Ross présente une comédie dramatique à la fois drôle et grinçante sur l'éducation. Ben (Viggo Mortensen) vit avec ses 6 enfants loin de toute civilisation, leur enseignant lui-même les fondamentaux de l'existence. Il les instruit, leur inculque des valeurs de liberté. L'apprentissage inclut la nécessité d'apprendre à réfléchir par soi-même sans se laisser polluer par les diktats de la société actuelle. Le dialogue, l'argumentation et la franchise (on dit toujours la vérité sans détour et sans précaution) sont au centre de cette communauté pratiquement autonome. Elle est gérée par ce paternel à l'idéologie marxiste, ce dernier étant également imprégné par les textes de Noam Chomsky, ce linguiste et philosophe américain, fondateur de la linguistique générative, qui s'est surtout fait connaître pour ses tendances anarchistes. Au-delà de l'aspect instructif, il leur prodigue un entraînement physique intense, pour développer leur masse musculaire et leur faculté de résistance.
Le décès de la mère les oblige à retourner dans le monde moderne, soit celui des beaux-parents, dont le mode de vie et les croyances diffèrent de ceux de Ben. Très vite, l'affrontement dégénère et le film nous pousse à réfléchir sur notre véritable marge de liberté face au monde actuel. Les enfants de Ben sont érudits mais complètement inadaptés. Ses neveux sont complètement immergés dans cet univers fait de nouvelles technologies mais ils sont incultes.
Si  ce long métrage utilise certes les bons sentiments et touche les âmes sensibles par un côté larmoyant parfois simpliste, le réalisateur offre toutefois une réflexion intéressante en se distinguant par un humour corrosif auquel on adhère volontiers. Ce père de famille est-il un fanatique, un idéologue, un égoïste, un héros, un génie ou un fou? On peut se poser la question, mais en tous les cas, on suit l'évolution de ce récit et de ce personnage singulier avec beaucoup de plaisir.  (NR, 15)

Clash de Mohamed Diab Clash2

(Eshtebak) Egypte, France, 2016. Avec Kelly Karim, Hany Adel, Tarek Abdel Aziz. Drame politique. Durée: 1h37.

Quatre ans après Les Femmes du bus 678, Mohamed Diab présente un huis clos étouffant sur fond de révolution arabe. Cette étude sociologique de l'Egypte ouvre la compétition «Un Certain regard » au 69ème festival de Cannes.
D'un point de vue historique: en 2011, la plus grosse Révolution égyptienne met fin à 30 ans de présidence. L'année suivante, l'élection d'un membre du parti islamiste «Les Frères musulmans» provoque rapidement des émeutes et en 2013, des millions de citoyens s'opposent au nouveau président Morsi. Les temps suivants, l'Egypte est le théâtre de nombreux affrontements sanglants entre les frères musulmans et les partisans de l'armée. Ce film raconte un de ces jours meurtriers, dans un fourgon de police, une cellule où sont enfermés les rebelles. Les deux premiers prisonniers sont un journaliste et son photographe, dont un chrétien, tous deux modérés et sympathisants des frères musulmans. Puis des dizaines de manifestants aux convictions religieuses et politiques différentes sont également emprisonnés dans ce même espace. La tension s'installe au sein du véhicule et l'atmosphère devient vite irrespirable.
Ce film est intéressant par sa manière de révéler le chaos, laissant un véritable sentiment d'un gâchis humain épouvantable. En effet, certains se retrouvent dans cette situation à leur insu.Très vite, il est difficile de définir dans quel camp se situent les manifestants. L'ironie est qu'au début, les personnages se battent pour sortir du fourgon mais face à la folie meurtrière extérieure, ils finissent par s'entraider pour rester à l'intérieur dans l'espoir de sauver leur peau.
Clash fonctionne bien dans l'action: la tension est immédiate et intense. Le spectateur se retrouve enfermé durant toute la durée du récit, témoin de la violence de cette déroute collective, animée par la fureur et la peur.  (NR, 15)

Comancheria1Comancheria de Dabid Mackenzie

(Hell and High Water) USA, 2016. Avec Jeff Bridges, Chris Pine, Ben Foster. Thriller, western. Durée: 1h42

Un petit moment de bonheur nous est proposé sur la Croisette, dans la sélection «Un Certain Regard». En effet, dans ces étendues fascinantes du Texas, le cinéaste nous présente une intrigue qui n'est pas sans rappeler celle de No Country for Old Men (les frères Coen, 2008), mais traitée de manière beaucoup plus légère. Le film de David Mackenzie, réalisateur écossais qui pourtant capte de manière remarquable les héros du Texas, met en scène des cowboys et leur coutume. Marcus (Jeff Bridges) incarne un shérif à l'aube de la retraite: il traque comme dernière affaire des bandits, pilleurs de banque. Il s'agit de deux malfrats, des frères désargentés qui ont un rapide besoin d'argent: Toby (Chris Pine), honnête citoyen à la base, mais prêt à tout pour subvenir aux besoins de ses garçons et Tanner (Ben Foster), qui sort de prison et qui désire venir en aide à son frangin, sachant que cette mission lui sera probablement fatale. Ces personnages correspondent à l'image des mauvais garçons mais inspirent une forte sympathie, provoquée par le fait qu'ils volent des institutions bancaires, dont les financiers sont considérés par les texans eux-mêmes comme les pires escrocs de la région.
Ce road-movie, inspiré du western, est parfaitement maîtrisé. Les voleurs sont malins, ils évitent de prendre des billets marqués pour ne pas être repérés. Tout est traité simplement et de façon brute à l'image des paysages. L'action oscille entre le réalisme et le burlesque. Les horizons immenses, desséchés par un soleil intense, captent l'attention du spectateur, tout comme le récit qui dénonce une crise économique et sociale telle que le citoyen, jadis défenseur des lois, trouve aujourd'hui des solutions parfois malhonnêtes pour tenter de survivre. Le réalisateur par ailleurs précise : «… le film offre une réflexion sur l'Amérique contemporaine et sur les questions des rapports entre communautés,sur la légitimité des armes à feu, du comportement inique des banques, du déclin de l'Ouest traditionnel, de l'éclatement des familles et de la société, et du besoin de se faire justice soi-même». En dehors de ces considérations pertinentes, un fait important et primordial à ne pas négliger: on s'amuse, on apprécie et on se détend, caractéristiques de plus en plus rares au cinéma.  (NR, 17)

Danseuse1La Danseuse de Stéphanie Di Giusto

(The Dancer) France, 2016. Avec Soko, Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, Lily-Rose Depp, François Damien. Durée: 1h48

Ce premier film de Stéphanie Di Giusto est présenté dans la section « Un Certain Regard » au Festival de Cannes, et concourt pour la Caméra d'Or. La cinéaste s'est intéressée à une artiste aujourd'hui complètement méconnue, voire oubliée, et qui a pourtant révolutionné les arts scéniques entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Loïe Fuller (Extraordinaire Soko) inventa une danse, cachée sous des mètres de soie, les bras fixés à des baguettes en bois, donnant vie au tissu grâce à des grands gestes circulaires captant la lumière. Ce spectacle demande une énorme force physique ainsi qu'une coordination des mouvements dans l'apesanteur. L'artiste invente une gestuelle tout en légèreté par ce procédé, qui est un mélange de force et de subtilité. Ce personnage au physique ingrat est mal dans sa peau. Par son art, elle prend son destin en main en faisant de son mal être une énergie positive et désinhibée. Elle se sublime dans la prestation. Elle ne cessera de perfectionner sa danse, même si elle doit se briser le dos et se brûler les yeux avec ses éclairages. Grâce à son courage et à sa volonté, elle se produira sur la scène de l'opéra de Paris. Cette femme, avant-gardiste, se battra pour faire breveter sa découverte, pour éviter de se faire voler sa création. Sa rencontre avec Isadora Duncan (Lily-Rose Depp), une beauté avide de gloire, va la conduire sur une pente vertigineuse jusqu'au déclin.
L'interprétation de Soko est incroyable: les défauts du personnages ne sont pas masqués mais sont intégrés dans la folie de l'époque, permettant à la jeune femme de perfectionner une gestuelle qui sera reconnue par les plus grands comme une forme d'art à part entière.  (NR, 14)

 

Le Disciple de Kirill Serebrennikov Disciple1

(Uchenik - The Student) Russie, 2016. Avec Viktoriya Isakova, Yuliya Aug, Pyotr Skvortsov. Drame. Durée : 1h58

«Les disciples de la lumière n’ont jamais inventé que des ténèbres» (Robert Desnos)
Cette phrase en préambule annonce la couleur du récit: l'action se déroule dans une école russe moderne, mettant en scène des professeurs caricaturaux tels qu'un prêtre qui donne les cours de catéchisme ou encore une enseignante d'histoire issue tout droit du régime soviétique. Seule Elena, son professeur de biologie, sort du lot, dérangeant l'ordre bien établi. Un élève, Veniamin est un adolescent perturbé, en proie à une crise mystique, lisant la bible de manière assidue: il adapte les écritures à son comportement. Aussi, quand à la piscine, les filles se présentent dans leur maillot de bain sexy, le jeune homme refuse de déshabiller. La réaction de ses camarades et des enseignants le pousse à continuer: Veniamin remet en question d'autres fondamentaux, à savoir si les cours d'éducation sexuelle ont leur place dans un établissement scolaire, ou encore si les leçons sur l'évolution sont pertinentes. A chaque citation de l'adolescent, le cinéaste fait apparaître à l'écran la référence des versets en question, de manière à ne pas pouvoir l'accuser de détourner les écritures. Cette approche intellectuelle évite ainsi au spectateur de se poser la question mais il ne peut que déplorer le sens donné aux mots et la façon de les interpréter.
Les interrogations et les certitudes de Veniamin finissent par ébranler son entourage. Elena, quant à elle, refuse cette attitude et va affronter Veniamin en le contrant sur son propre terrain, en utilisant également des versets bibliques pour le faire réfléchir au sens de ses actes.
«La présence de l’obscurantisme religieux qui pèse sur notre vie de tous les jours préoccupent tout le monde» exprime le réalisateur. Cette œuvre en est la preuve: Veniamin finit par se perdre dans sa démarche et le dérapage est inévitable…
Certes, l'encadrement de l'adolescent n'aide pas à son épanouissement: élevé par sa mère uniquement, cette dernière multiplie les boulots, et explique les malaises de son fils en évoquant la drogue ou l'homosexualité.
La force du récit est de voir l'évolution du personnage et son mécanisme, à savoir le moment où il va franchir la frontière de l'acceptable. Un film au ton agressif et perturbant, mais qui a le mérite de montrer le danger du fanatisme, quelle que soit la religion.
Le Disciple est inspiré de la pièce de théâtre «Martyr» du dramaturge allemand Marius von Mayenburg. Le texte est retravaillé pour le public russe et un spectacle portant le même titre est joué depuis 2015 au théâtre «Centre Gogol» à Moscou, dont le directeur artistique n'est autre que le cinéaste. (NR, 13)

Dogs de Bogdan Mirica Dogs2

(Caini) Roumanie, 2016. Avec Dragos Bucur et Vlad Ivanov. Horreur. Durée: 1h44
 
Drôle d'histoire, difficile à définir et à apprécier, que ce film qui mélange les styles dont les codes oscillent entre le western, le thriller, le drame social et l'horreur.
Roman hérite des terres de son grand-père dans une campagne éloignée de Roumanie, un domaine gigantesque à cheval avec la frontière bulgare. Il ne souhaite guère conserver ce patrimoine. Mais ce domaine est le lieu propice à d'étranges trafics mafieux menés par des hommes peu désireux de renoncer à leurs malversations.
Concourant pour la Caméra d'Or, ce premier film présente une Roumanie encore traumatisée par son histoire. Il montre la noirceur de la nature humaine. Le monde rural est dépeint dans toute sa violence et sa pauvreté. Les personnages sont soit corrompus, ou malades, ou détachés… mais aucun ne paraît pouvoir faire en sorte de remédier à cette accablante réalité. Tous semblent manquer d'éducation ou en tous les cas sont dépourvus du moindre respect de l'être humain.
La première scène montrant une chaussure avec un reste de pied en décomposition  émerger des profondeurs d'un étang aussi sale que l'objet insolite donne le ton : celui du dégoût qui ne nous quittera jamais. Le récit est rythmé par les aboiements de chiens   menaçants et par les agressions verbales et physiques des criminels. Ce parti pris lasse et fatigue plus qu'il n'intéresse. Dommage. (NR, 5)

Harmonium2Harmonium de Fukada Koji

(Fuchi ni Tatsu) Japon, 2016. Avec Mariko Tsutsui, Tadanodu Asano, Kanji Furutachi. Drame familial. Durée: 1h58

Ce drame familial est étrange et se distingue clairement en deux parties : la première présente la banalité d'une vie de famille dans laquelle le seul lien encore vivant dans le couple est la petite fille de 8 ans. Un jour, un bel homme débarque dans ce trio. Il sort de prison et on devine une ambiguïté dans la relation entre les deux mâles. Le visiteur est invité à séjourner chez la famille le temps de se retourner. Le maître de maison lui propose de travailler avec lui dans son atelier, jouxtant le domicile. L'épouse s'offusque de cette décision soudaine sans avoir été concertée mais peu à peu, elle se rapproche de cet étranger et son attirance pour lui devient compliquée à gérer… Avec un saut dans le temps de 10 ans, on retrouve la même famille mais avec des protagonistes se situant dans une configuration de vie bien différente, les personnages étant dévastés par un drame inexpliqué. 
L'intrigue joue sur ces zones d'ombres, dont certaines seront peu à peu élucidées mais toutes ne seront pas complètement expliquées. Les thématiques telles que les non-dits et la culpabilité sont au centre du récit. La religion est également présente: la femme et une fervente protestante alors que son mari n'est pas croyant. Le réalisateur explique lors d'une interview : «ce choix est de montrer que la foi devrait rassembler » mais que dans le cas présent, elle est un motif de rupture entre les deux adultes. Elle peut malgré tout être un remède permettant de soulager la souffrance.
Une œuvre surprenante qui dénonce les secrets enfouis et le manque de communication entre les membres de cette famille japonaise au bord de la rupture. Un mélodrame sombre qui vire au thriller psychologique. (NR, 15)

La Longue nuit de Francisco Sanctis D'Andrea Testa LongueNuitFSantis1

(La larga noche di Francisco Santis) Argentine, 2016. Avec Valeria Lois, Rafael Federman, Laura Paredes, Masrcello Subiotto. Drame psychologique. Durée: 1h18

L'histoire se déroule à Buenos Aires en 1977, en pleine dictature : les citoyens sont constamment sous pression, une pression ambiante incontournable, une pression qui vous pénètre et nous vous lâche plus… Francisco Sanctis s'y trouve confronté de manière brutale : il est sollicité pour aider à sauver deux personnes recherchées par les militaires. Homme sans histoire, fonctionnaire modèle, père de deux enfants, il ne correspond pas au profil pour une telle mission. Mais voilà, il a écrit dans sa jeunesse des poèmes engagés et une amie de cette période pense à lui en souvenir de cette période. Une longue nuit commence alors pour lui… que faire? Risquer sa propre situation, perdre sa famille pour venir en aide à deux individus? Le récit se construit sur la décision progressive de ce personnage, qui tentera d'esquiver maladroitement le problème mais qui au final devra faire un choix…
Adapté du roman d'Humberto Costantini, le sujet est prometteur mais malheureusement, le film n'est pas concluant. Le dilemme auquel est confronté Francisco ne provoque pas d'angoisse ni de tension, mais plutôt l'ennui. A force d'austérité et de précision, la mise en scène traîne en longueur et se révèle plus laborieuse qu'efficace. (NR, 10)

Périclès le Noir de Sstefano Mordini PericlesNoir2

(Pericle il Nero) Italie, France, Belgique, 2016. Avec Riccardo Scamarcio, Marina Foïs, Valentina Accaa, Gigio Mora. Drame, thriller. Durée: 1h44.

Basé sur le roman noir éponyme de Giuseppe Ferrandino sous le pseudonyme de Nicola Calata en 1993, le protagoniste se présente et l'intrigue commence par cette phrase: "Mon patron s'appelle Luigino Pizza, tout le monde l'appelle comme ça à cause de ses pizzerias. Moi, je m'appelle Périclès Scalzone, et mon métier est de sodomiser les gens".
Le ton est donné - et encore, vous avez la version édulcorée et polie de la description des actes de Périclès. Lors de ses missions punitives réalisées pour son patron, Don Luigi, un homme qui jouit d'une position et d'une réputation dans le monde de la mafia, Periclès commet une erreur qui provoque sa chute… On veut sa mort et pour échapper à ses poursuivants, Il se rend en France. Sa rencontre avec Anastasia va peut à peu ébranler ses certitudes. La jeune femme l'accueille sans le juger et lui fait miroiter une nouvelle vie, lui offrant une nouvelle chance. Mais Périclès est rattrapé par son passé et devra y faire face…
Ce film est violent, vulgaire, moche et sans intérêt. Les personnages sont répugnants et ne provoquent que de l'antipathie. Si la presse italienne propose une réception assez éloquente (c'est parfois à se demander si on a vu le même film!) cette histoire est une véritable torture dont l'agression nous empêche même de nous endormir! La note de 1 salue les deux heures d'attente et d'être restée jusqu'à la fin! (NR, 1)

PersonalAffairs1Personal Affairs de Maha Haj

(Omor Shakhsiya) Israël, 2016. Avec Amer Hlehel,Sana Shawahdeh,Mahmoud Shawahdeh,Maïssa Abed El Hadi,Doraid Liddawi, Drame familial. Durée: 1h30.

L'histoire est celle d'une famille éclatée avec comme fil conducteur le couple de parents, vivant à Nazareth, au rythme de la routine quotidienne. Ils n'échangent que quelques mots d'une banalité affligeante, les deux isolés dans leur univers, comme coupés du monde extérieur. «Passe-moi le sel» est la réplique qui ouvre le débat, permettant d'entrevoir l'aspect grinçant de ce tableau familial. A Ramallah, de l'autre côté de la frontière, vit Tarek, leur second fils, dont le principal souci est de rester célibataire et d'échapper aux contraintes familiales. En suède, l'aîné espère la visite de ses parents avec l'espoir de leur présenter son amie. A cette peinture familiale s'ajoutent une fille sur le point d'accoucher, un beau-fils garagiste qui décroche un rôle au cinéma et une grand-mère dont les réactions laissent entrevoir un début d'Alzheimer. Tous ces personnages sont séparés par des frontières mais pas seulement… les non-dits, les rancœurs et les silences sont autant de fossé que les limites géographiques. Un point commun les relie: la solitude. En effet, ils sont perdus dans leur malaise sans parvenir à s'échapper de leur train-train qui leur laisse comme goût amer dans la bouche.
La situation en Israël est perceptible bien qu'en arrière-plan, la réalisatrice s'intéressant au destin de ses protagonistes avant l'aspect politique. De son propre aveu, son but est clairement d'éviter que la situation du pays fasse de l'ombre aux citoyens et prenne le dessus sur toute autre considération, comme c'est pratiquement toujours le cas dans les films israéliens. La cinéaste laisse ainsi les héros de Personal affairs s’arranger comme ils le peuvent avec leur vision de la liberté et de l’épanouissement.
Le film oscille entre humour décalé et réalisme, tout en restant très correct. On peut regretter un manque de folie dans la mise en scène de ces personnages. Ces derniers sont attachants mais le peu de malice et de légèreté fait de cette comédie dramatique une œuvre un lourde, provoquant un sentiment de déjà (mainte fois!) vu... (NR, 12)

The Happiest Day in the life of Olli Mäki de Juho Kuosmanen HappiestDayLife2

(Hymyileva Mies) Finlande, Allemagne, Suède, 2016. Avec Jarkko Lahti, Oona Airola, Elis Ask. Film de boxe, biopic. Durée: 1h32.

Olli Mäki est un boxeur finlandais né en 1936 en Finlande. Il devient professionnel en 1960, et s'incline en 1962 en deux rounds, une défaite cinglante face à l'américain David Moore lors des championnats du monde des poids plume organisés à Helsinki. Mais malgré cette défaite quelque peu humiliante, il dira: «ce fut le plus beau jour de ma vie». Cette phrase n'est pas en relation avec le sport mais elle concerne l'achat de son alliance qu'il est allé faire le jour du combat avec sa promise, Raija...
Le cinéaste raconte ce parcours au cœur des années 60 dans un film en noir-blanc vraiment intéressant. Il explique par ailleurs dans le dossier de presse : «Je ne connais pas grand chose à la boxe mais il est évident pour moi que si vous vous préparer à disputer un championnat du monde, vous devez être concentré à 100% sur le match. Acheter une bague de fiançailles le même jour semblait totalement impensable ».
A partir de cette invraisemblance, Juho Kuosmanen s'intéresse de plus prêt à ce personnage unique, pour découvrir que sans être un véritable héros en Finlande, ce dernier met un terme à sa carrière sur un bilan tout à fait honorable de 28 victoires, 14 défaites et 8 matchs nuls. On découvre un sportif qui fait de son bonheur une priorité indépendamment des attentes extérieures, soit celles de son manager qui met une pression énorme sur ses frêles épaules. Ce dernier lui donne une mission : perdre du poids pour descendre en-dessous de 60kg, et participer à des soirées mondaines afin de se faire voir des managers, des sponsors et du public. Olli déteste cette effervescence médiatique et ne désire que se retrouver dans la bras de son amour.
Cette biographie a bénéficié de l'aide de la « vraie » Raija. Le couple est toujours ensemble, mais le héros souffre de la maladie d'Alzheimer. Pour la petite histoire, les vrais Olli et Raija apparaissent à la fin du film.
Ce film est davantage le destin d'un romantique que d'un gagneur, et on découvre un sportif « pure », non perverti par l’appât du gain, dont l'ambition est d'être tout simplement heureux. Un grand bravo au cinéaste qui prend le parti de s'intéresser à une défaite. Un film qui fait du bien…. (NR, 16)L

TortueRouge2La Tortue rouge de  Michael Dudok de Wit

(The red Turtle) France, Japon, Belgique, 2016. Animation. Durée: 1h20

Ce premier long métrage d'animation sans dialogue est un pari audacieux, concourant pour la Caméra d'or. Les premières images sont saisissantes: une mer déchaînée, et un homme luttant contre les vagues pour rester en vie. Il échoue sur une île déserte, avec comme seuls compagnons des oiseaux, des tortures et des crabes. Il organise sa survie et surtout construit des radeaux pour quitter l'endroit mais il est confronté à une tortue de mer géante qui à chaque fois, l'empêche de partir.
La Tortue rouge raconte le Cycle de vie, soit les grandes étapes qui jalonnent l'existence d'un humain. Une vérité essentielle de la vie, décrite simplement, de manière épurée mais intense. Le rapport à l'environnement est un facteur primordial, la nature et ses caprices étant au centre de l'action. Une nature certes bienveillante mais souvent cruelle, et dont les bruits et les sons remplacent les mots, totalement absents, offrant un langage universel. Le rythme est lent mais nous hypnotise, nous plongeant en parfaite symbiose avec la solitude et les angoisses de ce naufragé.
Michaël Dudok de Wit s'était fait remarqué avec ses courts-métrages. Grâce à son talent et à la qualité de son animation, son projet a été soutenu dès l'origine par le studio Prima Linea (situé à Paris et à Angoulême) ; Pascale Ferran a travaillé le scénario et on reconnaît la qualité de sa plume dans la narration.
Un beau moment poétique dans la compétition d'Un Certain regard… un moment de bonheur et de contemplation bienvenu dans ce monde où tout va trop vite… (NR, 15)

Transfiguration de Michael O'Shea Transfiguration1

USA, 2016. Avec Eric Ruffin, Chloe Levine, Aaron Moten, Larry Fessenden. Film d'épouvante. Durée: 1h37

Ce premier long métrage pour le moins surprenant de Michael O'Shea concourt pour la Caméra d'Or. Il raconte le destin d'un jeune orphelin de 14 ans, Milo, vivant à New York avec son grand frère complètement amorphe et désespéré (on devine qu'il a vécu la guerre). Milo est mal dans sa peau, un solitaire rejeté par les caïds du quartier. Il voue une passion pour les films animaliers sanglants, où on voit les prédateurs dévorer leurs victimes. Il est obnubilé par les vampires, tant et si bien qu'il agresse la nuit des anonymes pour se gaver de leur sang. La rencontre avec Sophie va bouleverser ses habitudes. Ses premiers émois amoureux vont peu à peu insinuer le doute en lui…
L'addiction de l'adolescent au sang est un refuge pour échapper à sa propre solitude et pour calmer la colère qui l'habite. Si le sujet peut sembler intéressant pour les amateurs du genre, la mise en scène est franchement lourde. Le récit a pour but de rendre l'existence des vampires et leur cruauté réaliste à l'image de la souffrance des protagonistes et c'est dans ce sens qu'il se veut un plaidoyer contre les sagas d'adolescents style Twilight, très souvent citées en horreur dans les dialogues entre Sophie et Milo. Malgré quelques bonnes idées, l'intrigue ne va jamais très loin et ennuie plus qu'il ne passionne. (NR, 7)

VentLiberte2Un Vent de liberté de  Behnam Behzadi

(Varoonegi, Inversion) Iran, 2016. Avec Sahar Dolatshahi, Ali Mosaffa, Ali Reza Aghakhan. Drame. Durée: 1h24

L'histoire se passe à Téhéran, ville dans laquelle il ne fait pas bon vivre quand on est délicat des poumons. C'est le cas de la maman de Niloofar qui doit quitter la ville pour préserver sa santé. La famille décide que Niloofar, couturière célibataire, peut s'occuper de leur mère, soit abandonner son commerce et renoncer à sa vie dans la capitale iranienne. Niloofar va peu à peu contrer sa famille, et les décisions prises à son insu. Le moment de la révolte sonne quand son frère liquide l'atelier de couture pour louer les locaux...
Ce long métrage est un beau portrait d'une femme qui n'est pas un personnage prétexte pour illustrer une victime: elle est au contraire heureuse dans sa vie, plutôt gaie, car elle a gagné son indépendance: elle travaille et a monté son petit commerce. Elle aurait accepté de s'occuper de sa maman, mais elle ne supporte pas que l'on prenne cette décision sans être concertée. Courageuse, elle fait face à ce conflit familial et tente de se se faire comprendre et surtout entendre. Seule la maman soutient la jeune femme, et refuse de voir sa fille renoncer à sa vie pour elle. Mais du fond de son lit, personne ne l'écoute. Cependant, étonnamment, le spectateur n'est pas inquiet pour Niloofar, conscient qu'il a devant lui un être décidé et intelligent. En admirant le regard pétillant de cette femme, il se sent connecté à sa vivacité et à son énergie. La pollution qui envahit Téhéran, étouffante, contraste avec l'attitude de Niloofar, qui chercher un bol d'air face aux pressions de sa famille.
Une mise en scène classique pour un film intéressant. Il dénonce la lâcheté masculine et présente un personnage féminin qui lutte pour conserver son indépendance, chèrement acquise. (NR, 14)

VoirDuPays2Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin

(The Stopover) France, 2016.Avef Soko, Ariane Labed, Ginger Roman, Karim Leklou, Andreas Konstantinou. Drame. Durée: 1h42

Adapté du roman éponyme de Delphine Coulin, Voir du pays centre son action sur le retour de deux femmes d'Afghanistan, Aurore (Arianne Olabed) et Marine (Soko). Ces dernières font un passage obligé, tout comme les soldats dans la même situation, par un «sas de décompression» durant trois jours avant de rentrer à la maison. Le but de cette étape est d'obliger les militaires à parler des horreurs qu'ils ont vécues, afin d’exorciser la souffrance et de ne pas la ramener dans la vie civile. Pour les aider à se libérer, des psychologues utilisent des vidéos de réalité virtuelle, dont le logiciel performant permet de recréer les images décrites par les protagonistes.
La troupe de soldats se retrouvent ainsi dans un hôtel de luxe, véritable paradis sur terre, à Chypre. On devine un contraste saisissant avec le contexte de guerre d'où ils arrivent. L'absurdité dans cette situation est de penser que la beauté actuelle du paysage peut effacer  les images qui les hantent…
Très vite, les séance de psychanalyse vont révéler des secrets et attiser les rancœurs. La tension qui règnent entre les soldats est palpable. De plus, le fait d'être une femme dans ce milieu de mâles machos et détruits est une difficulté supplémentaire à affronter.
Est-ce possible de retrouver une paix intérieure après avoir été confronté à la mort, aux tueries et aux combats? Peut-on oublier les odeurs, le sang, les hurlements, l'agonie et le bruit?
Ce récit, violent et sombre, aborde un sujet important: le choc post-traumatique. La force du film est sans aucun doute son authenticité et son réalisme: par ailleurs, des vrais militaires ont été mêlés aux acteurs professionnels, des anciens et des jeunes soldats, dont les attitudes et la gestuelle ne sont pas fictives. La difficulté avec les gens de terrain est qu'ils ne peuvent passer d'une angoisse permanente à un univers de détente: ils sont toujours en alerte ou sur la défensive, attitude qui ressort dans le film. Blessés physiquement et moralement, ils ont perdu le goût à la vie et le respect de l'être humain.
Après ces trois jours, il ressort clairement que les cauchemars vont les accompagner et que ces jeunes gens devront apprendre à vivre avec leur traumatisme. (NR, 15)