Impasse

Affiche Impasse
Réalisé par Elise Shubs
Pays de production Suisse
Année 2016
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Casa Azul
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 765

Critique


La jeune cinéaste lausannoise Elise Shubs empoigne un sujet complexe, celui de la  prostitution. Avant de tourner, elle a passé un an, dès avril 2014, à se documenter sur ce sujet. Une recherche à la fois théorique et sur le terrain, une année de repérages dans le quartier de Sévelin à Lausanne: «Je voulais, dit-elle, emmagasiner un maximum d’avis, d’informations, observer, capter, tout noter dans mon carnet de bord (…). Ce qui m’intéressait, c’était de rencontrer des prostituées et je voulais faire entendre au public leurs témoignages».

Aidée par des collaboratrices de l’organisation «Fleur de Pavé», la cinéaste a cherché à rester au plus près de la réalité. La plupart des femmes que l’on entend dans le film ont été obligées d’exercer ce gagne-pain suite à des contraintes de réseau, de famille ou d’époux: les unes sont venues en Suisse «engagées» par des passeurs ou des passeuses qui leur avaient promis un métier, une rémunération (coiffeuse, auxiliaire dans la restauration ou le médical). A peine arrivées, elles ont compris qu’elles avaient été bernées. Revenir en arrière? Impossible. S’appuyer sur une communauté locale (africaine ou de leur pays d’origine) ? Inutile d’y songer : les informations circulent et parviennent rapidement jusqu’aux oreilles des familles quittées. Impossible donc de rentrer au pays.

Sur l’écran, les plans fixes d’Impasse fonctionnent dans toute leur longueur. Ce sont des images sur lesquelles le spectateur a tout le temps de se promener, dans ce quartier de Sévelin qui devient rapidement un des personnages principaux du film. Le bal nocturne et anonyme des voitures, la toux déchirante d’une prostituée invisible dans la nuit glaciale, tout est dit de façon allusive, mais efficace.

On ne voit jamais les visages de ces femmes - pour la grande majorité migrantes et mères de famille, qui louent leur corps pour faire tourner financièrement leur petit ménage. Quatre d’entre elles ont accepté de se raconter, et leurs témoignages, au plus proche de l’intime, décrivent librement l’envers du décor. Mais elles ont peur de

parler, peur des réseaux, peur des contrôles policiers (certaines sont en Suisse sans permis).
Se dégage de ce documentaire une impression de solitude infinie. Ces femmes n’ont pas de vie sociale et Elise Shubs tient à casser le mythe de la solidarité entre les travailleuses du sexe : elles ne parlent pas la même langue, chacune d’entre elles reste seule, souvent déplacée d’une ville à l’autre. Impasse est un tableau amer, sans aucun visage, émouvant, lourd de sens. L’impression finale qui s’en dégage est qu’Elise Shubs – par ailleurs spécialiste dans le droit de l’asile et fondatrice du «Country Information Research Center» - a vu beaucoup plus de choses encore que celles qu’elle a bien voulu nous montrer…

Antoine Rochat