Fils de Saul (Le)

Affiche Fils de Saul (Le)
Réalisé par Laszlo Nemes
Pays de production Hongrie
Année 2015
Durée
Musique László Melis
Genre Drame
Distributeur agorafilms
Acteurs Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn, Todd Charmont, Sándor Zsótér
Age légal 14 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 734
Bande annonce (Allociné)

Critique

Grand Prix et Prix de la critique internationale (Fipresci)

L’hébétude. Tel est le mot approprié pour exprimer l’état dans lequel on se trouve à la sortie de ce film, du réalisateur hongrois Laszlo Nemes, et qui obtint plusieurs récompenses à Cannes. En 1944, Saul est prisonnier dans un camp de concentration, et est chargé de la pire des tâches: évacuer les cendres et trier les effets personnels de ses frères juifs qui ont été tués. Son visage, toujours parfaitement impassible, laisse à peine deviner tout ce qu’il doit ressentir. Mais durant ces deux jours que raconte le film, Saul va s’accrocher à une obsession: trouver dans le camp un rabbin pour enterrer dignement son fils à l’abri des regards. Un acte capital pour son salut et son âme, mais au fond si dérisoire au vu des circonstances.

Des films très réussis, documentaires ou fictions, sur les camps de concentration, il y en a eu des dizaines, de Spielberg à Claude Lanzmann. Mais à la fin du Fils de Saul, on se dit qu’on n’avait encore jamais vu ça. Avant tout grâce à la mise en scène. Caméra à l’épaule, avec de longs plans-séquence, le réalisateur est la plupart du temps à cinquante centimètres du visage de Saul, qui occupe presque tout l’écran. Le spectateur devine donc plus qu’il ne voit l’horreur qui l’entoure, et c’est d’autant plus terrifiant. Au niveau du scénario aussi, on a l’impression de n’être jamais allé aussi loin dans le noir absolu, l’enfer personnifié. Un réalisme total, des visages bouleversants, des décors et des costumes criants de vérité, une caméra qui s’incruste avec obsession: le malaise qui saisit le spectateur au début ne va qu’en s’amplifiant.

Le Fils de Saul est très difficile à évaluer. La mise en scène et la direction d'acteurs sont parfaites, et l'impact du film absolument ravageur. Sur le plan cinématographique, on peut parler de chef d'œuvre. C'est donc selon ce critère que je donnerai finalement ma note. Mais d'un autre côté, il est légitime de se demander s'il était vraiment bien utile de descendre à un tel point tout au fond du gouffre.

Philippe Thonney


Personne n’a pu oublier, dans Shoah de Claude Lanzmann, le témoignage de l’un des très rares rescapés des Sonderkommandos (ces juifs forcés à s'occuper des crématoires d’Auschwitz), même si tout se réduisait ou plutôt se concentrait sur le visage d’un homme marqué à jamais. Cette fois-ci, une fiction terrible rejoint (à certains moments caméra à l’épaule) au cœur de l’enfer ces équipes chargées  notamment de vider les fours à gaz et de transporter les corps pour les incinérer. Un jour parmi eux, un prisonnier hongrois – dont le visage ne cessera de parler –  affecté à cette tâche récupère le corps d’un enfant, dont il dit être le sien… Il n’aura dès lors de cesse de trouver un rabbin pour réciter le kaddish (prière des morts) et lui apporter une sépulture digne.

Grâce à choix de focale n’assurant la netteté qu’au tout premier plan, on suit Saul Ausländer (Geza Röhrig) au plus près, pas à pas et incessamment. Nemes permet par ce procédé une immersion en un lieu indicible où la voix n’a plus la parole, où les mots ne font plus sens et où l’humain paraît reculer. Si cette réalisation  est exceptionnelle, mais parfois presque insoutenable, ce n’est pas tant dû à ses images, ni même à la bande-son très travaillée, c’est qu’elle offre au cinéma, comme l’avait fait auparavant Primo Lévi en littérature, une confrontation inouïe entre le meilleur et le pire de l’humain qui débouche sur un devoir de mémoire essentiel.

Serge Molla


Une note pour Le Fils de Saul ?

Les derniers propos de l'analyse  que Philippe Thonney a signée vont dans le sens de mon interrogation sur l'importance et l'opportunité de donner une note à une telle œuvre. Incontestablement, sur le plan artistique et cinématographique, cette réalisation est un chef-d’œuvre et mérite d'être excellemment notée. Cela suffit-il pour justifier le choix du thème et du cadre de ce film?  L'écriture le permettrait, un texte n'aurait pas la même portée, mais l'image? De plus, et même si le réalisateur ne l'a pas voulu, l'aspect documentaire n'apparaît-il pas c comme privilégié par rapport à la fiction?

Sur un thème identique, La vie est belle (Roberto Benigni, 1998), ou La liste de Schindler (Steven Spielberg, 1993) ne suscitent aucune réserve, la fiction prenant le pas sur le documentaire. L'abject et l'horreur du contexte historique ne sont pas ressentis de la même manière que dans Le fils de Saul. C'est la raison de mon refus d'attribuer une note à ce film, contrairement aux deux autres cités précédemment. Et même si Claude Lanzmann, réalisateur du documentaire fleuve Shoah, disait que la fiction était une transgression.

Georges Blanc

Georges Blanc

Appréciations

Nom Notes
Philippe Thonney 18
Serge Molla 18
Anne-Béatrice Schwab 14