Le bouton de nacre

Affiche Le bouton de nacre
Réalisé par Patricio Guzmán
Titre original El bóton de nácar
Pays de production France, Chili, Espagne
Année 2015
Durée
Musique Hugues Maréchal
Genre Documentaire
Distributeur trigonfilm
Acteurs Patricio Guzmán
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 731
Bande annonce (Allociné)

Critique

Ce documentaire fluide et cohérent est un véritable chef-d’œuvre. Il offre par la beauté de ces images et par l’intelligence de son propos une sorte d’écho aux vers  de Pablo Neruda « …et l’eau est comme une flèche sans archer, la transparence oblique des fils, l’eau douce sur l’eau amère... »

En ouverture, gros plan sur un morceau de quartz recélant un trésor, une goutte d’eau figée depuis… Ces images précèdent une lente navigation au travers d’un labyrinthe d’îles, depuis le fjord d’Almirantazgo jusqu’au canal de Beagle, à l’extrême sud du Chili. Ainsi le réalisateur chilien poursuit ici le geste de son précédent documentaire – La Nostalgie de la lumière –  qui se situait tout à l’opposé du pays, à l’extrême norddans le désert d’Atacama. Aussi insiste-t-il à nouveautant sur l’histoire des hommes que sur la nature, et sur le travail de mémoireque génère un tel voyage aussi intérieur qu’extérieur.

Le Bouton de nacre réussit ainsi le tour de force de parler de l’eau qui est l’origine et l’horizon du Chili, de l’espace infini (où l’eau sous une forme ou une autre ne manque pas), de la colonisation et de ses funestes conséquences (comme l’éradication des nations indigènes pour lesquelles la mer était une alliée), des années noires du Chili suite au coup d’Etat qui renversa Allende... Tout cela en évoquant en particulier deux boutons de nacre :le premierqui donna son nom à Jeremy Button, un indigène de Patagonie que le capitaine Robert FitzRoy emmena temporairement en Angleterre contre un bouton de nacre pour y être civilisé (!), et le second, collé à une section de rail jeté à la mer avec le corps d’un opposant politique torturé, ultime trace d’une vareuse de soldat et preuve de l’implication de l’armée dans les innombrables exactions.

Mais le propos de Guzmán est bien plus ample .Quelle est la place de l’homme dans l’univers ? Vie et eau ne vont-elles pas ensemble ? Qu’est-ce que la civilisation ? Comment juger les Etats-Unis et leur éradication du processus démocratique qui s’installe au Chili en septembre 1970 ? La mémoire se dissoudrait-elle dans l’eau ou celle-ci réveillerait-elle le processus mémoriel ? Les questions fortes se succèdent et le réalisateurles aborde sans donner de leçon. Il ne veut pas démontrer, mais montrer ou plutôt révéler; aussi conjugue-t-il fréquemment avec poésie et beauté des images prises de l’espace ou celles d’un infime détail.

Il déploie également l’imagination de son spectateur endéroulant comme la peau d’un animal préhistorique une cartedu pays, façonnée pour l’occasion, de 15m. En outre, grâce à la voix off, métaphorique, qui s’insinue et lie sans couture images d’archives et séquences d’aujourd’hui, l’histoire s’expose et débusque ses récits sombres les plus cachés. Et que dire de ces photographies en noir et blanc montrant des indigènes que l’on chassait comme des lapins ? Rien, hormis le fait qu’ils ne sont aujourd’hui qu’une vingtaine de descendants, qui parlentet font entendre avec émotion une langue hélas définitivement condamnée à disparaître.Quant au poète Raúl Zurita, ilapporteen sus une dimension épique au récit en parlant d’honneur et de dignité à travers les exemples d’Achille, de la guerre de Troie et du cadavre d’Hector rendus aux siens…

Précisons enfin que si ce documentaire, formant un dyptique avec Nostalgie de la lumière, est peu montré au Chili, c’est qu’il oblige à considérer autrement son histoire récente et qu’il contraint l’Europe, responsable de la colonisation, à ouvrir notamment les yeux sur un lourd passé qu’elle a préféré largement oublier.

Serge Molla

Appréciations

Nom Notes
Serge Molla 20
Antoine Rochat 18
Anne-Béatrice Schwab 19