Tabou

Affiche Tabou
Réalisé par Miguel Gomes
Pays de production France, Portugal, Allemagne, Brésil
Année 2012
Durée
Genre Drame, Romance
Distributeur looknow
Acteurs Teresa Madruga, Carloto Cotta, Laura Soveral, Ana Moreira, Henrique Espírito Santo
Age légal 14 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 673
Bande annonce (Allociné)

Critique

Dans un long flash-back, Tabou évoque la passion amoureuse d’une femme, Aurora, à l’époque où elle vivait en Afrique. Un scénario classique, mais une écriture très personnelle. En même temps qu’un bel hommage rendu au cinéma des années 20.

Aurora (Laura Soveral), vieille dame un peu excentrique, Santa (Isabel Cardoso), sa femme de ménage originaire du Cap-Vert, et sa voisine Madame Pilar (Teresa Madruga) partagent le même étage d’un immeuble à Lisbonne. Lorsque la première meurt, les deux autres prennent connaissance d’un épisode de sa vie passée: une histoire d’amour et de crime, dans une colonie portugaise africaine, il y a un demi-siècle.

Le premier chapitre démarre avec des images noir-blanc d’un petit film mélo-exotique muet, accompagné d’un commentaire: un explorateur blanc en Afrique, un chagrin d’amour inconsolable, puis le suicide de l’homme, hors champ, dans une rivière à crocodiles. Le spectateur découvre alors qu’il était en compagnie de Madame Pilar, devant l’écran d’une salle de cinéma…

Deuxième chapitre: alertée par Santa, Madame Pilar court aider Aurora qui vient de jouer et de perdre toutes ses économies au casino. Elle mourra quelques jours plus tard, après avoir révélé à ses deux compagnes le nom d’un homme qu’elle avait connu et aimé cinquante ans auparavant en Afrique, Gian Carlo Ventura. C’est la fin du deuxième chapitre et l’on quitte dès lors «Le Paradis perdu», titre donné par le cinéaste Miguel Gomes à la première partie de son film.

Reste le troisième tableau, le plus important et le plus long, intitulé «Le Paradis»: Tabou abandonne le désenchantement et la grisaille de la capitale portugaise pour plonger dans un lointain passé africain. C’est au milieu d’un centre commercial de Lisbonne que le mystérieux Ventura (Henrique Espirito Santo) va révéler à Pilar et Santa toute la jeunesse d’Aurora. L’évocation des souvenirs du vieil homme va prendre, sur l’écran, la forme d’un film mi-sonore (bruits de la nature, voix off, musique), mi-muet (les dialogues des personnages sur l’écran restent le plus souvent silencieux, comme si les paroles échangées à l’époque s’étaient perdues dans le temps). Le récit - un monologue de Ventura - ramène le spectateur dans une colonie portugaise africaine dans les années 60. Aurora y est propriétaire, avec son mari, d’une ferme prospère, et la domination blanche sur les Noirs est toute paternelle. On pense à Out of Africa: «J’ai possédé une ferme, en Afrique, au pied du Ngong», disait Karen Blixen. Ici on est au pied du mont Tabu…

Cette troisième partie, la plus importante, donne son sens au film: l’explorateur du début, le trio féminin, le jeune Ventura (Carloto Cotta) et quelques autres comparses trouvent leurs places dans ce long récit en voix off, de caractère très littéraire, où le cinéaste joue avec le temps, ajoutant des séquences et des images d’époque qui ne collent pas nécessairement avec ce qui est dit. Tabou dessine peu à peu une carte intime des êtres, tout particulièrement d’Aurora, tout cela avec tendresse, humour et distance, au travers des souvenirs de Ventura qui sont souvent lacunaires mais empreints de nostalgie et d’émotion retenue. Pilar et Santa écoutent l’histoire de cette passion amoureuse entre Aurora et le jeune Ventura, et tentent de visualiser ce qu’elles entendent. C’est là sans doute la qualité de ce film romanesque, plus complexe qu’il n’y paraît, très original dans sa facture et qui refuse tout élément de séduction facile. Un film ancré dans le temps, celui d’une Afrique coloniale historiquement lointaine.

Les strates thématiques et historiques du scénario (la passion amoureuse d’Aurora, les allusions à la future décolonisation) sont intéressantes, mais l’œil du spectateur est constamment sollicité par autre chose: Tabou séduit en effet surtout par sa facture, par des images superbes en noir et blanc, et le film apparaît avant tout comme un hommage rendu au 7e art du début du siècle passé, au travers d’une écriture originale et audacieuse.

Antoine Rochat

Appréciations

Nom Notes
Georges Blanc 14
Daniel Grivel 16
Antoine Rochat 16