Vol spécial

Affiche Vol spécial
Réalisé par Fernand Melgar
Pays de production Suisse
Année 2011
Durée
Musique Wandifa Njie
Genre Documentaire
Distributeur Dissidenz Distribution
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 10 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 643
Bande annonce (Allociné)

Critique

On se souvient encore de Fahad, le jeune traducteur irakien de LA FORTERESSE, Léopard d’Or 2008 à Locarno, film qui décrivait les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Suisse. Avec VOL SPECIAL, Fernand Melgar porte son regard plus avant, sur la fin du parcours migratoire. Au-delà des images, son constat ne rassure pas.

Au Centre de détention administrative de Frambois (GE), des hommes sont emprisonnés dans l’attente d’une décision de renvoi du territoire helvétique. Leur demande d’asile a échoué, ils sont sommés de repartir après avoir passé, pour certains, plusieurs années en Suisse. Après avoir souvent travaillé, payé des impôts et fondé une famille… Leur incarcération peut durer légalement jusqu’à 24 mois (cette disposition a été adoptée par le peuple suisse, en 1994, par 74% des votants) et l’annonce de leur renvoi intervient sans crier gare: la mise à exécution est alors imminente.

Dans ce huis clos carcéral, la tension semble permanente. Il y a d’un côté les gardiens qui s’efforcent de maintenir de bonnes relations avec les prisonniers, et de l’autre des hommes «en bout de course», tenaillés par la peur et le stress. Se nouent entre ces deux mondes des rapports d’amitié, de respect ou de révolte. Jusqu’à l’annonce de l’expulsion. Ceux qui refusent de partir seront ligotés et installés de force dans un avion, dans un «vol spécial».

Le cinéaste Fernand Melgar s’est immergé pendant 9 mois dans le centre de Frambois, où se côtoient requérants d’asile et clandestins. Sa caméra (numérique) suit pas à pas, de près mais discrètement, la vie quotidienne d’une douzaine de détenus: repas, jeux, vie en commun, visites des proches au parloir, discussions avec la direction. En face d’eux, il y a l’équipe des surveillants qui gèrent le centre - on assiste à leurs colloques - et qui ont accordé toute leur confiance au cinéaste. L’essentiel du film porte sur les rapports qui se tissent entre ces deux mondes.

Créer un centre comme celui de Frambois (2004) était une entreprise difficile: «L’objectif était de répondre de façon intelligente et humaine, rappelle le cinéaste, aux exigences d’une loi qui a la singularité de priver de liberté des personnes qui n’ont commis aucun crime ni délit, pour s’assurer de la bonne exécution d’un renvoi. Non défini dans la loi fédérale, un régime particulier de détention administrative a dû être inventé. Le défi était de taille.»

Avec beaucoup de tact, Fernand Melgar a réussi, en toute liberté, à mettre en images et à évoquer les problèmes quotidiens qui surviennent dans ce monde dual: difficulté à annoncer les mauvaises nouvelles, inquiétude des deux côtés, dépression de certains détenus, stress au moment de l’expulsion. Melgar n’a pas reçu de l’Office fédéral des migrations l’autorisation de filmer les départs à l’aéroport même. On sait toutefois qu’il y a eu bavures policières et mort d’homme. On sait aussi que les conditions dans lesquelles ont lieu ces renvois sont actuellement au cœur de diverses polémiques. «Après chaque ‘vol spécial’, ajoute Melgar, on appelait pour savoir comment s’était passé le voyage. A chaque fois, les témoignages étaient accablants. Non seulement ces hommes se sentaient jetés par la Suisse comme des sacs poubelles, mais ils en gardaient aussi des séquelles physiques et psychologiques liées à l’entravement. Certains se sont fait arrêter ou dépouiller à leur arrivée par les policiers de leur pays, parfois au nez des représentants des autorités suisses. Nous avons décidé de continuer à filmer leur vie après l’expulsion. Ces portraits feront l’objet d’un web-documentaire coproduit par la RTS et ARTE au début de 2012.»

On pourra regretter de ne pas avoir connaissance, dans le film, des antécédents des détenus ainsi condamnés à quitter notre pays. On reconnaîtra pourtant à VOL SPECIAL d’avoir rouvert - après LA FORTERESSE - un débat public salutaire sur la question du droit d’asile (à noter qu’à ce jour aucun autre pays européen n’a ouvert les portes d’un centre de détention temporaire à un documentariste). Voilà un cinéma qui interroge, qui crée le débat et place le spectateur devant des questions difficiles, en particulier celle de la responsabilité individuelle et collective… Un travail de discussion qui va sans doute, grâce au film, se poursuivre.

Note: 17



P.S.: On ne reviendra pas sur les propos polémiques tenus par Paulo Branco, président du Jury de Locarno, et les réponses de Fernand Melgar. Le lecteur pourra se référer à 24 HEURES/27.8, LE TEMPS/15 et 18.8, LIBÉRATION/22.8 et CINÉ-FEUILLES n. 641. Voir aussi (LE TEMPS/14.9) l’article consacré au Camerounais Geordry, renvoyé dans son pays.

Antoine Rochat