Dernier Voyage de Tanya (Le)

Affiche Dernier Voyage de Tanya (Le)
Réalisé par Aleksei Fedorchenko
Titre original Silent Souls
Pays de production Russie
Année 2010
Durée
Musique Andrei Karasyov
Genre Drame
Distributeur trigonfilm
Acteurs Igor Sergeyev, Yuriy Tsurilo, Yuliya Aug, Ivan Tushin, Viktor Sukhorukov
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 634
Bande annonce (Allociné)

Critique

Deux oiseaux dans une cage vont accompagner deux hommes au cours d’un long périple en voiture, le long de la haute Volga russe. LE DERNIER VOYAGE DE TANYA se présente comme un poème dépouillé sur la mort, ponctué d’images fortes, superbes, comme un voyage envoûtant à la fois temporel et intérieur, aux confins de la géographie et de l’histoire russes.

Directeur d’une fabrique de papier, Miron (Yuriy Tsurilo), la soixantaine, demande à son ami Aist (Igor Sergeyev), 40 ans, photographe et poète, de l’aider à inhumer sa femme Tanya qui vient de mourir. Il veut le faire selon la tradition des Mériens, en brûlant le corps dans un lieu sacré, sur le bord d’une rivière où seront dispersées ses cendres, refermant ainsi, selon la coutume, le cycle de la vie.

Les Mériens formaient par le passé - c’est le dossier de presse qui nous l’apprend - un groupe ethnique dont l’origine remonte à des millénaires et qui s’étendait de la Hongrie jusqu’à la Finlande. Malgré l’assimilation par les Slaves russes, certaines de leurs traditions ont pourtant perduré. Dans la petite bourgade de Neya, près de Kostroma et de la Volga, Miron refuse que des mains étrangères touchent le corps de celle qu’il a aimée. Après avoir fait la toilette de la morte, les deux hommes quitteront la ville: SILENT SOULS sera le récit d’un dernier voyage, l’occasion pour Miron de se remémorer - par de très beaux flash-back - les grands moments de vie qu’il a partagés avec Tanya: leur rencontre, leur mariage, leur vie quotidienne, à travers des images et des détails intimes et sensuels toujours clairement mais pudiquement exprimés. En «voix off» - il est le narrateur du film -, Aist parle également de son existence et rappelle qu’il a aussi aimé Tanya avant qu’elle n’épouse Miron. Un amour partagé par les deux hommes, mais qui ne les sépare pas, qui les rapproche aujourd’hui dans une douleur commune.

Le cinéaste Aleksei Fedorchenko dit s’être inspiré d’une nouvelle d’un écrivain russe, Denis Osokin. Il y a sans doute puisé la force de ses personnages, tous gens ordinaires, mais qui, au-delà de leur façade silencieuse, expriment les grandes passions qui les habitent. L’originalité de son film tient au fait que si l’intrigue et les personnages sont contemporains, l’histoire puise sa source dans l’ancienne culture des Mériens. «Ces gens, dit le cinéaste, se reconnaissent aujourd’hui entre eux à des signes subtils: lorsqu’ils ont à surmonter des épreuves, ils se tournent vers leurs rituels ancestraux. Ils ne croient en aucun dieu, mais considèrent l’amour et l’eau comme sacrés. Les rites que j’évoque à l’écran sont une interprétation de ceux qui ont existé dans le passé. Si ce peuple avait survécu, je crois que l’adieu à une femme comme Tanya se serait déroulé de cette façon. (…) Je ne voulais pas offenser leur mémoire en abusant de mon pouvoir de fiction, mais au contraire la convoquer à chaque instant.»

On peut définir l’univers décrit par Fedorchenko comme un quotidien parallèle au nôtre, aux frontières de l’imaginaire et du réel. Les paysages sont souvent singuliers, les images à la lisière du fantastique, même si le film est fortement enraciné dans une région, dans une saison aussi, de l’automne aux premières neiges. Un univers légèrement décalé, qui nous pousse à envisager le nôtre de façon différente, avec un léger recul.

Le titre anglais (SILENT SOULS) le dit explicitement: le film est silencieux. Surgissent parfois quelques mesures d’une musique très dépouillée, quasi chuchotée, ou quelques notes d’un piano, d’un violoncelle, ou encore d’un chœur traditionnel. L’essentiel se situe au niveau des images qui font l’aller et retour entre le passé et le présent. Des images superbes et finement cadrées, jouant sur la lumière et le contre-jour (le film a obtenu le Prix de la meilleure photographie au dernier Festival de Venise). On pense à un autre grand cinéaste russe, Andrei Tarkovski…

Une sensualité imprègne plusieurs séquences, dans le respect des corps et des personnages. Rien d’agressif ou de voyeur, tout est intérieur. Le film peut se définir comme un voyage aux confins des secrets de l’âme, une ode à l’amour et une célébration de la féminité. Pour l’accompagner, le cinéaste a su trouver une tonalité sensible, entre tendresse et mélancolie, et un rythme judicieux. La démarche est originale, maintenant la tension et fixant le regard. Narration et propos sont bien maîtrisés, tout en laissant au spectateur un large champ d’interprétation personnelle.

Au terme du DERNIER VOYAGE DE TANYA les deux oiseaux, jusque-là spectateurs du récit, en deviennent subitement les acteurs. Et nous dévisagent de leur regard noir…

Antoine Rochat

Appréciations

Nom Notes
Georges Blanc 16
Daniel Grivel 20
Serge Molla 18
Ancien membre 20
Antoine Rochat 18