Na Putu - Le Choix de Luna

Affiche Na Putu - Le Choix de Luna
Réalisé par Jasmila Zbanic
Pays de production Bosnie-Herzégovine, Allemagne, Autriche, Croatie
Année 2010
Durée
Musique Brano Jakubovic
Genre Drame
Distributeur trigonfilm
Acteurs Mirjana Karanovic, Ermin Bravo, Leon Lucev, Zrinka Cvitesic, Nina Violic
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 630
Bande annonce (Allociné)

Critique

En 2006, avec Grbavica - Sarajevo, mon amour, Jasmila Zbanic remportait l’Ours d’Or et le Prix œcuménique du Festival de Berlin. Avec Na Putu - Le choix de Luna, la réalisatrice bosniaque poursuit, avec un autre portrait de femme, sa réflexion sur une société encore marquée par les guerres récentes, où certaines structures familiales et religieuses sont remises en question. Clair, sensible, proche d’une forme de militantisme, le film reste profondément humaniste.

Luna (Zrinka Cvitesic) et Amar (Leon Lucev) travaillent tous deux à l’aéroport de Sarajevo. Elle est hôtesse de l’air, il est aiguilleur du ciel. C’est un jeune couple moderne, qui laisse sa passion amoureuse s’exprimer, qui fait la fête avec des amis dans les endroits branchés de la capitale. Jusqu’au jour où des événements imprévus viennent mettre en péril cette harmonie: Luna n’arrive pas à avoir d’enfant et Amar se fait suspendre de son travail pour alcoolisme.

La rencontre fortuite de ce dernier - Amar est un personnage que l’on découvrira par ailleurs fragile et inconstant - avec Bahrija, ancien camarade d’armée qui a adhéré au wahhabisme, va les éloigner l’un de l’autre. Amar se convertit, sans hésitation ni remords - une conversion qui paraît artificielle et peu crédible dans sa soudaineté -, et s’en va rejoindre un camp (de vacances?) islamiste et fondamentaliste où vit, sous surveillance, une communauté fermée et assez rigoriste. Peu après, Luna se rendra sur place, mais ne pourra que constater un changement radical d’attitude chez son compagnon, qui déclare tout de go être devenu un «homme meilleur». Dépitée de constater qu’il a sombré dans l’intolérance, écœurée par les conditions dans lesquelles vivent les femmes de la communauté, Luna quittera les lieux, revendiquant son indépendance.

Na Putu - Le choix de Luna est l’histoire de la transformation brutale d’un homme et de la persévérance d’une femme, instinctive et pragmatique, patiente et déterminée, à vouloir sauver son couple. La cinéaste Jasmila Zbanic ne s’est pas donné comme priorité de parler de religion et d’en dénoncer les dérives possibles: «La religion tient un rôle important dans mon film, mais elle n’en est pas le pivot central. Même si l’attitude de Luna est plutôt critique, je n’ai pas cherché à faire un film contre l’islam», précise-t-elle. Dont acte. Pointe toutefois, ici ou là, le bout de l’oreille d’un constat assez clair: les règles d’un islam intégriste semblent s’opposer fortement aux désirs de liberté de chacun. Par ailleurs, la guerre a laissé de nombreuses séquelles, et bien des blessures sont encore ouvertes, au sein de la société comme chez chaque individu.

Sans manichéisme, sans imposer de jugement, la réalisatrice a posé son regard sur le fondamentalisme des salafistes. Le film se situe ainsi à la limite du militantisme: la vie du camp et de ses occupants wahhabites - ils vivent coupés du monde, sur une île, et sont soumis à un endoctrinement continuel - est décrite sans parti pris. Tout paraît simple, il n’y a pas de tension apparente dans ce monde-là, mais le point de vue de la cinéaste reste comme empreint de méfiance: cette communauté silencieuse, Jasmila Zbanic la décrit avec une certaine distance, privilégiant les plans généraux et les réunions collectives. L’approche des deux protagonistes principaux est en revanche très différente: en cadrant les visages de très près, la cinéaste pénètre dans le monde intime de chacun, révélant ses joies, ses déceptions, ses sentiments de solitude. Luna essaiera de comprendre, elle conservera ses préjugés, ses contradictions internes et ses interrogations jusqu’à la fin: jusqu’où peut-on aller, dans la perte de sa propre liberté, pour sauver son amour?

Ce récit - le déchirement progressif d’un couple -, Jasmila Zbanic le maîtrise parfaitement, chapitre par chapitre, usant intelligemment de l’ellipse. L’arrière-fond historique est toujours suggéré, avec tact et émotion (le passé tragique des familles; la visite de Luna à Bjeljina, dans la maison où elle est née et qu’elle a dû quitter pendant la guerre; les traditions, avec la fête de l’Aïd). Le jeu sensible des acteurs (bosniaques, croates, serbes, slovènes), tout particulièrement celui de Zrinka Cvitesic (Luna), remarquable de précision, permet de nuancer le propos et de donner vie et profondeur à ce qui aurait pu n’être qu’une romance sentimentale de plus. Au-delà de cette histoire d’amour en danger, Na Putu - qui signifie en bosniaque «être en chemin vers quelque chose» - pose intelligemment et finement des questions d’importance, comme les difficiles relations homme-femme dans un islam radical.

Antoine Rochat

Appréciations

Nom Notes
Antoine Rochat 16
Georges Blanc 16
Daniel Grivel 16
Geneviève Praplan 15
Serge Molla 17
Anne-Béatrice Schwab 18