Troubled Water

Affiche Troubled Water
Réalisé par Erik Poppe
Pays de production Norvège, Suède, Allemagne
Année 2008
Durée
Musique Johan Söderqvist
Genre Drame
Distributeur Jour2fête
Acteurs Pål Sverre Valheim Hagen, Trine Dyrholm, Ellen Dorrit Petersen, Fredrik Grøndahl, Trond Espen Seim
N° cinéfeuilles 613
Bande annonce (Allociné)

Critique

Culpabilité et pardon, bien et mal, mensonge et vérité s’entremêlent dans cette réalisation soignée du réalisateur norvégien. Et cela d’autant plus lorsque les clichés sur l’Eglise ou la repentance cèdent la place à la vérité exigeante des êtres, confronté au poids du passé.

Après huit ans passés en prison, Jan Thomas Hanson sort pour bonne conduite; il avait été condamné avec un autre jeune suite à l’enlèvement d’un enfant, qui s’était terminé par la mort accidentelle (?) de ce dernier. Engagé (sous son second prénom) comme organiste dans une paroisse luthérienne d’Oslo, Thomas devient proche de l’assistante du pasteur, Anna, tout en étant reconnu par Agnès, la mère de l’enfant disparu.

L’utilisation des retours en arrière permet au réalisateur de tisser de nombreux fils narratifs. Erik Poppe souligne sans les juger les sentiments et pensées de ses divers personnages. Ainsi Jan qui subit le regard des autres et sa propre culpabilité. Anna, mère célibataire, qui apprécie que son fils affectionne le jeune organiste. Agnès, persuadée que Jan n’a pas tout dit lors du procès et très angoissée en découvrant qu’il se lie d’affection avec un autre enfant qui ressemble au sien. Son mari, qui projette de déménager pour raison professionnelle, mais peut-être aussi pour quitter la petite ville où tout le passé ressurgit. Leurs deux filles adoptées, qui ressentent plus qu’elles ne comprennent les émotions et mouvements d’humeur de leurs parents. Et les mêmes scènes se répètent parfois, étant vues à travers les yeux des divers personnages.

Conjointement à cette multiplicité d’angles de vues, le réalisateur, par sa fiction serrée, réussit à soulever toute une série de questions fortes. Il aborde - dans un premier temps de façon générale - du mal, avec un dialogue entre Jan (agnostique) et Anna convaincue que Dieu pardonne tout alors même que certaines personnes n’arrivent pas à se pardonner leurs propres actes. Mais la suite du film confrontera l’assistante pastorale à sa propre réponse. Par ailleurs se pose, bien sûr, la question de la seconde chance qui s’offre à un être de vivre une vie «normale», question qui ne se pose pas seulement à celui qui a commis un geste irréparable, mais aussi à ceux qui en ont subi les conséquences. L’attention ici portée au couple meurtri par la perte de leur garçon et à leurs filles adoptives souligne la complexité des différents points de vue. Quant à la mémoire qui travaille tant Jan qu’Agnès, n’ouvrira-t-elle pas un étroit sentier vers la vérité des faits qui ont conduit au pire?

Avec sobriété, Erik Poppe suggère les états intérieurs des personnages grâce à des procédés qui font penser à ceux de Kieslowski dans sa trilogie BLEU, BLANC, ROUGE. Le traitement de l’eau, omniprésente, s’apparente en particulier à celui de BLEU, car cet élément tout à la fois réveille la mémoire du passé et annonce une nouvelle chance en recelant ici un aspect baptismal. Le réalisateur norvégien s’aventure dans les eaux troubles des drames humains qui font tomber les masques et s’enfuir les bonnes intentions sans épaisseur. Aussi est-ce délibérément que les premières images montrent un écoulement d’eau filmé à 90° du mauvais côté, comme pour traduire combien est grand le risque que tout bascule irrémédiablement et se noie.

Notons encore que ce film a obtenu dès sa sortie de nombreux prix, et cela tant de la part de la critique que du public.

Serge Molla