Invictus

Affiche Invictus
Réalisé par Clint Eastwood
Pays de production U.S.A.
Année 2009
Durée
Musique Kyle Eastwood
Genre Drame, Historique, Biopic
Distributeur Warner Bros. France
Acteurs Matt Damon, Morgan Freeman, Tony Kgoroge, Patrick Mofokeng, Scott Eastwood
Age légal 7 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 606
Bande annonce (Allociné)

Critique

Pour aller au cœur de la personnalité exceptionnelle de Nelson Mandela et appréhender ce qu’on a appelé le miracle sud-africain, ce film relate un moment clé, post-apartheid, de cet Etat, celui de la Coupe du monde de rugby en 1995. Un sport qui fut longtemps sport des Blancs allait contre toute attente devenir le symbole de réconciliation de la nation «arc-en-ciel».

Au lendemain du 11 février 1990, jour officiel de sa libération après plus de 27 ans de détention, Nelson Mandela fait face à d’énormes défis et le fera plus encore après son élection comme premier président noir de la nouvelle Afrique du Sud qui vient de mettre fin à l’apartheid. L’un des premiers à relever est de permettre à sa nation de véritablement devenir «arc-en-ciel» et c’est là, contre toute attente, que le rugby intervient, car la Coupe du monde doit se passer dans le pays en été 1995. Mandela décide, malgré la désapprobation de ses proches, d’utiliser ce sport comme fédérateur de la population du pays et de construire la nouvelle identité nationale autour de l’équipe de rugby. Mais la tâche est plus difficile qu’il n’y paraît au premier abord, car les Noirs majoritaires ont toujours honni les joueurs des Springboks, symbole à leurs yeux du régime de l’apartheid. Il demande alors à François Pienaar, capitaine de l’équipe (qui ne comprend qu’un seul joueur noir), d’entraîner ses hommes pour gagner la coupe, ce qui paraît à l’époque mission impossible.

Les deux acteurs sont éblouissants. Matt Damon, qui a pris quelques kilos et une musculature impressionnante, incarne François Pienaar dont la ténacité et l’énergie galvanisaient son équipe. Morgan Freeman, adoubé par Mandela lui-même, ne présente pas un double de ce dernier, mais il l’est véritablement devenu: mêmes inflexions, même dignité, même douceur mêlée d’assurance, au point que l’on oublie l’acteur et croit revoir les images d’archives. Quant à ceux qui entourent les deux acteurs, tant noirs que blancs, ils permettent de bien saisir les rapports humains très tendus, lorsque d’un jour à l’autre certains repères tombent. Ainsi, dès le premier jour où Mandela entre en fonction, ne contraint-il pas ses gardes du corps, noirs et blancs, à faire équipe, eux qui se détestent?

Le film relate donc beaucoup plus qu’un exploit sportif, puisqu’il s’intéresse avant tout au symbole réconciliateur, tout en laissant de côté des difficultés conjugales de Mandela à cette période. Si les premières images montrent des Blancs s’entraînant au rugby et, de l’autre côté de la route, des gosses noirs jouant au football, les dernières laissent place à la liesse d’une nation qu’un sport diviseur vient de rassembler. C’est que Clint Eastwood ne limite pas son regard aux héros sportifs et politiques, il se soucie aussi de ceux dont l’histoire n’a pas retenu les noms. Ainsi ce gosse du ghetto qui refuse un pull chaud aux couleurs des Springboks, cela pour éviter d’être tabassé par ses copains, et qui, le jour du match décisif, fraternise avec des policiers blancs. Ou cette femme qui sert la famille Pienaar, reçoit de François un billet comme ses maîtres et dont la passion et le sourire en diront long le jour du match.

Le réalisateur a su montrer le rugby (malgré quelques petites longueurs) tout autrement qu’il ne montra la boxe dans MILLION DOLLAR BABY. On est sur le terrain, on souffre avec les joueurs, de même qu’est palpable la tension du public et bien sûr celle du président. Bien des émotions passent par l’image plus que par les dialogues, par la fraternité du regard de Freeman et l’hésitation que peut traduire son corps, ou la concentration et la fermeture exprimées par le visage de Damon. Quant aux paroles, elles traduisent ce mélange d’humour et de fermeté, d’audace et d’autorité dont Mandela ne cesse d’être porteur.

Si GOODBYE BAFANA de Billie August (2007) permettait de souligner l’importance de la Charte des libertés à laquelle longtemps les Sud-Africains blancs ne voulurent croire, INVICTUS (Invincible), dont le titre est tiré d’un poème de Willliam Ernest Henley cher à Mandela, souligne combien cet homme a eu le sens du geste symbolique réconciliateur. Et non seulement du geste qui accompagna constamment ses déclarations présidentielles, mais plus encore le sens des actes, comme lorsqu’il crée la Commission Vérité et Réconciliation, placée sous l’égide de l’archevêque Desmond Tutu. Cette solide réalisation rappelle l’exemple d’un courage politique et humain, celui d’un homme responsable qui se demanda souvent comment inspirer son peuple. En 1995, le rugby fournit une réponse à Mandela. Aujourd’hui, ce film pourrait en être une autre destinée au spectateur.

Serge Molla