Entre les murs

Affiche Entre les murs
Réalisé par Laurent Cantet
Pays de production France
Année 2008
Durée
Genre Drame
Distributeur Haut et Court
Acteurs François Bégaudeau, Agame Malembo-Emene, Angelica Sancio, Arthur Fogel, Nassim Amrabt
Age légal 7 ans
Age suggéré 12 ans
N° cinéfeuilles 570
Bande annonce (Allociné)

Critique

Entre les murs, c’est d’abord le titre d’un roman autobiographique de François Begaudeau évoquant les vicissitudes d’une classe de IIIe d’un lycée parisien, le Collège Françoise Dolto, en zone sensible (pour employer un euphémisme). L’ouvrage n’a pas échappé à l’attention de Laurent Cantet (dont on a remarqué notamment RESSOURCES HUMAINES en 1999), qui en a tiré ce que l’on peut - une fois de plus - appeler un docu-fiction. C’était le dernier film à avoir été sélectionné et présenté à Cannes, devant une salle pas trop pleine et une poignée de photographes (des blacks et des beurs, c’est moins sexy que Bellucci...)

François Begaudeau joue son propre rôle, celui d’un maître s’efforçant d’enseigner la langue de Molière à des ados parlant «djeune». Les joutes oratoires, fruits d’ateliers d’improvisation, ne sont pas tristes, et les lycéens, qui auraient tout pour être des perdants, touchent par leur ténacité, au demeurant parfois exaspérante. Les dérapages n’ont d’ailleurs pas lieu uniquement en face du pupitre magistral.

Joué par de «vraies gens», tourné en un mois (juillet 2007), ENTRE LES MURS est propre à toucher un très vaste public par son approche tendre et lucide d’un thème universel. La seconde Palme d’Or (depuis SOUS LE SOLEIL DE SATAN de Pialat en 1987), décernée à l’unanimité, récompense une œuvre et des êtres authentiques, vus et regardés avec cœur.



Daniel Grivel





Cinquième film de Laurent Cantet, ENTRE LES MURS - Palme d’Or 2008 au Festival de Cannes - est inspiré du livre éponyme de François Bégaudeau, écrivain et enseignant, coscénariste, et qui joue ici son propre rôle de prof.

François Marin (François Bégaudeau) assis à une table du bistrot en face du collège, instant comme suspendu, point d’orgue aux vacances qui s’achèvent, respiration-café avant de rencontrer les élèves: c’est la rentrée. Il est le prof de français d’une classe de quatrième dans un collège parisien. Classe multiethnique, élèves de milieux sociaux et culturels divers. Entrons! Découvrons François exerçant son métier de façon étonnante face à un groupe d’adolescents en recherche d’identité, réfractaires à l’autorité souvent, ou étant au milieu de collègues parfois déstabilisés, ou en face de parents peu au fait de leur enfant. On est plongé dans son quotidien de prof qui s’efforce d’enseigner une langue autre que la tchatche. Moments drôles, graves, émouvants, comme si nous y étions…

D’emblée, ce qui frappe, c’est la grande qualité cinématographique d’ENTRE LES MURS. Le scénario combine harmonieusement documentaire et fiction. Disons, une fiction sous forme de documentaire. L’unité de lieu cadre précisément le sujet: un huis clos, une sorte de laboratoire où professeurs, proviseur, adolescents s’exercent aux arcanes de la démocratie. En même temps, l’enceinte emmurée se fait boîte de résonance du monde: chacun dit son histoire en filigrane. Les jeux de couleurs entre bâtiments et personnes se font écho. Entre salle de classe et salle des maîtres: couloirs, escaliers, portes, fenêtres, autant de sas entre adultes et élèves, entre directeur et profs, autant de passages obligés pour rejoindre l’autre. Le film saisit certes les rapports entre profs et élèves mais sans s’appesantir. Il pose surtout un regard empathique sur la jeunesse d’aujourd’hui, ses richesses, ses difficultés, ainsi que sur les profs avec leurs doutes, leurs questionnements, leur fragilité.

Et que serait cette boîte sans «l’élément capital entre les uns et les autres, à savoir le langage qui est le fondement même d’une société», dit Laurent Cantet. Le film en fait une démonstration magistrale. Pas de casting. Profs et élèves jouent leur rôle (les élèves ont suivi pendant une année un atelier d’improvisation). Chacun parle avec son langage qui est recevable ou non: comprendre ce que dit l’autre, se faire comprendre dans un langage admissible, là est l’enjeu pour mieux vivre ensemble. La caméra s’arrête sur les joutes oratoires, sur ces mots qui créent l’impasse ou connotent une culture. François Marin, qui porte le film d’un bout à l’autre, est un prof qui discute de tout, qui parle aux élèves comme à des adultes, qui ose la confrontation, qui s’expose et prend des risques, qui part de ce qui intéresse les élèves pour aboutir à son programme de français. Suite à leurs questions âpres ou tordues, il use de la maïeutique pour les amener à découvrir la réponse. Socrate semble toujours parler aux jeunes d’aujourd’hui.

Le réalisateur s’intéresse aux métiers, ici celui de l’enseignant qu’il trouve complexe et difficile. Il doit naviguer à vue et faire face instantanément à des situations qu’il n’avait pas prévues. Pas un film pédagogique, pas de recette, pas de discours idéologique. Rien de neuf en fait! Une chronique de la vie d’un collège. Mais ce qui séduit, c’est la personnalité de François, son savoir-faire, l’honnêteté, le respect de l’autre quel qu’il soit, sa faculté à faire exister le jeune dans ce qu’il a de meilleur, une expérience de vie souvent sur le fil du rasoir. Emotion partagée en ce dernier jour d’école, où les élèves en liesse reçoivent des mains de leur prof de français le cahier contenant l’autoportrait de chacun, puzzle d’une société en marche.

A Cannes, Sean Penn ajoutait lors de la remise du Prix: «Ce film a une générosité magique.» On partage son avis.



Claudine Kolly

Ancien membre