4 minutes

Affiche 4 minutes
Réalisé par Chris Kraus
Pays de production Allemagne
Année 2006
Durée
Musique Annette Focks
Genre Drame
Distributeur EuropaCorp Distribution
Acteurs Richy Müller, Monica Bleibtreu, Hannah Herzsprung, Sven Pippig, Jasmin Tabatabai
N° cinéfeuilles 554
Bande annonce (Allociné)

Critique

Le cinéma allemand semble en pleine renaissance. Après LA VIE DES AUTRES, voici 4 MINUTES, œuvre magistrale qui introduit la musique dans le milieu carcéral.

Il y a quelque chose du MILLION DOLLAR BABY de Clint Eastwood dans ce deuxième film de Chris Kraus. L’univers sombre aux éclairages parcimonieux, les tons en camaïeu… et dans cette grisaille, la violence d’un combat, mené quasiment à la vie à la mort, entre deux êtres, entre eux et le reste du monde aussi. Mais le réalisateur allemand se distancie par l’âpreté du ton. Son histoire s’est construite à partir d’une photo de journal, celle d’une vieille dame qui enseigne le piano dans une prison. «Les mains n’allaient pas avec le visage, le piano n’allait pas avec la cellule. C’est sans doute en raison de ce décalage que cette photo m’a hantée.»

Avec le temps, la vieille dame est devenue Traude Krüger (Monica Bleibtreu). Le public fait sa connaissance alors qu’elle amène un piano à queue dans la prison de femmes où elle donne des cours depuis soixante ans. Frau Krüger est sèche comme son chignon. Les événements qu’elle va vivre au cours du film éveilleront les souvenirs d’affreuse culpabilité qui l’habitent et qui expliquent la glace de son âme, abandonnée à la seule musique.

Jenny (Hannah Herzsprung) est retenue dans cette prison. Jeune meurtrière, dangereuse, elle est aussi une virtuose. Avant sa condamnation, elle a gagné tous les concours d’interprétation. En prison, le piano demeure son seul exutoire: elle s’inscrit au cours de Frau Krüger. A première vue, la prisonnière est l’antithèse du professeur. Elle est un être désordonné, autodestructeur face à une personne rigide, totalement introvertie. Découvrant le talent de la première, la seconde met en veilleuse sa répulsion et prépare le programme qui devra faire triompher Jenny lors de nouveaux concours.

Le choc entre ces deux êtres est violent. Ce sont des personnages pleins, composés avec un sens profond de leur psychologie. On dirait que Chris Kraus les fait vivre avant même d’avoir terminé l’écriture de son scénario et qu’il doit sans cesse les reprendre, les ramener à leur projet, dompter l’agressivité de l’un, l’aridité de l’autre. Traude et Jenny ont pourtant en commun un passé inacceptable qu’elles rejettent toutes les deux, chacune à leur manière. La musique aussi est un point commun. Quoique leurs goûts divergent, là encore, de façon brutale.

Dès lors, c’est l’histoire d’un pouvoir que raconte le réalisateur allemand. Le pouvoir d’une femme qui utilise la passion d’une autre pour parvenir à ses fins. L’on y réfléchit gravement à la notion ambiguë d’«aider» et de «faire le bien». Jenny en esclave, c’est ce que veut Traude. Autour d’elles, toutes sortes de pouvoirs se manifestent, à différents niveaux, celui de la prison, celui de la famille, celui du passé, celui de la violence. Il faut s’en libérer pour devenir soi-même; il n’y a pas d’autre victoire. Ce sera la magnifique scène finale, pour laquelle la musique a été composée de toutes pièces.

Les deux actrices sont époustouflantes. C’est le premier rôle d’Hannah Herzsprung qui joue toutes les cascades et s’est entraînée des mois au piano. Monica Bleibtreu, qui s’est vieillie de vingt ans, campe son personnage avec une économie de moyens exemplaire. Un troisième personnage doit leur être ajouté, c’est la musique qui se glisse dans l’univers carcéral en puissant contraste. Hommage à une bande-son si justement distribuée, à une écriture sobre, une mise en scène brillante. Chris Kraus marie magistralement sa belle esthétique à sa bouleversante histoire. On attend avec impatience son troisième film.

Geneviève Praplan