Nous, les vivants / Toi qui es vivant

Affiche Nous, les vivants / Toi qui es vivant
Réalisé par Roy Andersson
Pays de production Suède, Allemagne, France, Danemark, Japon, Norvège
Année 2007
Durée
Musique Benny Andersson
Genre Comédie dramatique, Musical
Distributeur Les Films du Losange
Acteurs Jessica Lundberg, Elisabet Helander, Björn Englund, Leif Larsson, Ollie Olson
N° cinéfeuilles 548
Bande annonce (Allociné)

Critique

Un bol d'air frais, avec un film qui ne ressemble à aucun autre. Poétique, onirique et réaliste à la fois, le dernier long métrage du réalisateur suédois Roy Andersson - un cinéaste discret, quatre films en 35 ans! - ne raconte pas une histoire, mais se présente comme une succession de tableaux s'imbriquant subtilement les uns dans les autres. Fragments éclatés d'une comédie de mœurs s'aventurant parfois aux frontières du tragique, TOI QUI ES VIVANT parle de l'homme en général, de ses joies et ses tristesses, d'un être humain parfois ridicule, mais émouvant à ses heures, peu bavard, toujours lié aux existences de ceux qui l'entourent par le geste, la musique ou le silence.

Ces multiples et différentes facettes de la vie s'inscrivent dans une narration décalée, pleine d'humour, portée par une écriture cinématographique peu conventionnelle et stimulante. On pense à Tati, à certains films muets, mais Roy Andersson reste un cinéaste à part, et qui a un ton personnel. Observateur amusé du monde, il livre ici au spectateur une galerie de personnages pittoresques et déconcertants qui courent après le temps qui passe, qui se croisent sans se rencontrer et sans réussir à bien communiquer. Autant d'individus distincts, autant de variantes existentielles possibles. Mais, l'air de rien, le film aborde en catimini quelques questions plus profondes: comment passons-nous notre temps? Comment nous comportons-nous en société? Comment réagissons-nous lorsque nos habitudes sont bousculées?

TOI QUI ES VIVANT est un film d'atmosphère - éclairage tamisé, lumière très douce faisant l'économie des ombres, maquillages pâles, tonalité vert pastel de tous les décors (construits en studio). La caméra bouge très peu, le film est construit en longs plans-séquences. Les acteurs - inconnus - sont volontairement statiques dans leur jeu, mais développent paradoxalement une forte présence sur l'écran. La musique s'inspire de plusieurs styles, avec une priorité donnée au jazz de la Nouvelle-Orléans, ce qui n'empêche pas certains protagonistes de chanter! Un film original, bien reçu et très applaudi.



Antoine Rochat





Roy Andersson n’est pas le premier venu. Au fil des ans, il distille une filmographie rare mais non négligeable: notamment, en 1970, UNE HISTOIRE D’AMOUR SUEDOISE, primée à Berlin; CHANSONS DU DEUXIEME ETAGE, Prix spécial du jury à Cannes 2000 (Un certain regard). NOUS, LES VIVANTS est candidat à l’Oscar du meilleur film étranger.

L’accueil cannois réservé à ce film extra-ordinaire (je tiens au trait d’union (et de désunion) a été chaleureux, et cela se comprend. De telles œuvres ne courent en effet pas les rues. En exergue, une citation des Elégies romaines de Goethe: «Réjouis-toi, donc, ô vivant! de cette place échauffée par l’amour avant que le fatal Léthé ne baigne ton pied fugitif!» Le mythologique fleuve de l’oubli apparaît nommément, affiché comme destination d’un tram de Stockholm.

Méticuleusement écrit, tourné dans des décors construits en studio, bénéficiant d’éclairages et de couleurs savamment étudiés, mettant en scène une distribution d’amateurs improbables bien choisis et dirigés, NOUS, LES VIVANTS nous promène dans les vicissitudes quotidiennes de l’humanité. On aurait pu intituler aussi le film «Tranches de vie», ou «Chroniques de la vie ordinaire» Des personnages décalés se succèdent, dans un enchaînement de saynètes apparemment sans queue ni tête et pourtant reliées par un subtil fil rouge.

On sourit beaucoup, on rit moins souvent - et plutôt jaune - au vu de ces vivants, nos congénères, parce qu’on a le sentiment de partager leur sort. Les images parlent davantage que les dialogues, les situations sont éloquentes, les ambiances s’imposent subrepticement. Des scènes s’impriment dans la mémoire: un dialogue entre un Hell’s Angel attendrissant et son égérie; la déclaration face à la caméra d’un psy désespéré de remonter les bretelles de patients aussi abattus que lui; le monologue d’un musicien se préoccupant de sa pension future alors qu’il se fait chevaucher par une voluptueuse walkyrie - on en passe, et de plus savoureuses. Roy Andersson est un mélange de Tati et de Bergman, mêlant avec bonheur burlesque et incommunicabilité. Son film régalera les amateurs d’une expression indépendante et fantaisiste.



Daniel Grivel

Ancien membre