Souffle

Affiche Souffle
Réalisé par Kim Ki-duk
Pays de production Corée du Sud
Année 2007
Durée
Musique Myung-Chul Song
Genre Drame
Distributeur ARP Sélection
Acteurs Chang Chen, Kim Ki-duk, Ji-a Park, Jung-woo Ha
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 548
Bande annonce (Allociné)

Critique

Kim Ki-duk, avant de devenir cinéaste, a travaillé plusieurs années en usine, ce qui explique peut-être son goût pour une réalisation millimétrée et sans fioritures. Son nouveau long métrage met en scène, pour l'essentiel, un condamné à mort (Jin) et un couple marié depuis dix ans. C'est l'hiver. Le couple vit avec sa petite fille dans un appartement design et luxueux; le criminel, dont il apparaît à la fin du récit qu'il a tué sa femme et ses deux enfants, croupit dans une cellule qu'il partage avec trois détenus, dont l'un lui porte un amour ambigu.

Lorsque le journal télévisé annonce que, devant l'imminence de son exécution, il a tenté de mettre fin à ses jours, la jeune femme, Yeon, se passionne pour lui, d'autant plus qu'elle vient de découvrir que son mari la trompe. Elle se rend donc un jour au pénitencier et demande à voir Jin, se faisant passer pour son ex-fiancée. Le tout-puissant directeur, qu'on ne voit jamais sinon comme un reflet flou sur l'écran de surveillance de son bureau, intrigué, donne son aval. Commence alors une relation insolite avec le détenu muet (son larynx a été endommagé par l'instrument de son suicide manqué). A la visite suivante, Yeon arrive chargée de matériel, et lorsque Jin entre dans le parloir, il le trouve abondamment fleuri et tapissé d'un paysage photographique printanier, et elle lui chante en karaoké une chanson de circonstance. A chaque jour sa saison (clin d'œil à un précédent film, PRINTEMPS, ETE, AUTOMNE, HIVER... ET PRINTEMPS?): on a l'impression que Yeon veut lui faire vivre une année en accéléré avant l'exécution. Les deux prisonniers (elle dans sa vie de femme au foyer trahie et solitaire, lui dans sa cellule) iront jusqu'au contact charnel, avec la bénédiction d'un directeur qui ne ferme pas les yeux...

Les reflets - dans un miroir, dans des fenêtres, sur le petit écran, sur la buée laissée par un souffle sur la vitre d'un parloir, et les photos d'elle que Yeon donne à Jin - jouent un grand rôle. Kim Ki-duk explique ainsi le titre du film: la jalousie, un souffle qui nous épuise; le pardon, un souffle qui nous soulage; l'espoir, un souffle qu'on retient; la passion, un souffle qu'on libère.



Daniel Grivel





D’une rare poésie, ce film intimiste demande une attention extrême du spectateur. Chaque plan y est en effet subtilement construit, soufflant le chaud ou le froid, de même que, selon les moments, chaque visage trahit ou traduit la vie qui s’offre ou se dérobe. Lieux, temps et objets font ainsi écho à quelques êtres appelés à un nouveau souffle.

Ce film s’inscrit logiquement à la suite des réalisations précédentes de Kim Ki-duk, auxquelles quelques éléments font discrètement allusion. Trois personnages principaux tissent le fil de l’intrigue et des questions que celle-ci soulève. Ce sont respectivement une femme au foyer, mal-aimée et trompée, qui modèle des anges à temps perdu, son mari qui ne fait que la rabrouer, et un condamné à mort muet (il a perdu l’usage de la parole après une tentative de suicide) subissant l’entourage de ses codétenus. Sans raison apparente, la femme se rend à la prison et se fait passer pour l’ex-petite amie du condamné afin de le rencontrer. Elle agit ainsi à quatre reprises en transformant chaque rencontre au parloir en bulle hors du temps et de l’espace, en chantant pour cet homme qu’elle ne connaît pas, en lui racontant un souvenir personnel et en s’offrant de plus en plus. Et tout cela en étant exposée au regard du directeur de la prison qui suit sur un écran vidéo ces visites qu’il interrompt selon son gré. Mais un jour le mari suit son épouse…

La grande attention que le réalisateur coréen porte aux objets et ambiances est lourde de sens. Décors froids, austères, mais durables, pour l’appartement du couple comme pour la cellule où le condamné attend son exécution, et décors chauds, accueillants, mais éphémères, créés à chaque visite. Décors froids, épurés, lorsque le temps n’est que subi, et décors chauds, insolites, lorsque le temps se reçoit comme un cadeau à celui qui sait ses jours comptés et qui ne supporte pas cette idée. Et si les changements de décors pouvaient entraîner des changements intérieurs, que se passerait-il?

La réponse viendra au rythme des visites au condamné en présence d’un geôlier et sous l’œil voyeur du directeur, qu’interprète Kim Ki-duk lui-même, œil qui devient celui du spectateur. Il y a là comme une façon de souligner la toute-puissance du regard tant à l’égard du couple filmé que du spectateur contraint à regarder ou au contraire empêché de le faire. Or, que signifie être sous le regard de l’autre? Le regard n’est-il synonyme que de prise, d’emprise ou peut-il s’apparenter à une offre pour ne pas dire à un don de soi? L’attention portée aux visages est exemplaire car, suivant le regard porté, l’autre se voit dévisagé, réduit par exemple aux actes qu’il a commis, ou envisagé, (à nouveau) ouvert à un avenir.

Alors finalement, qui est en prison? Le condamné seulement ou le couple qui s’emmure dans l’incompréhension? Qui offre de l’amour: la femme à ce condamné qu’elle ne connaît pas, son mari à celle qu’il a trompée jusqu’ici, le directeur qui laisse le règlement perdre son caractère inéluctable, le codétenu amoureux du condamné qui le rejette? Et est-il vraiment possible de ramener à la vie celui qui veut en finir au plus vite? Peut-on tuer par amour?

Les questions et les réflexions s’appellent les unes les autres dans cette réalisation poétique très soignée. Si elle a pour titre SOUFFLE, c’est probablement pour évoquer le caractère éphémère du temps, de la jalousie, mais aussi celui de l’amour comme le baiser déposé sur la buée d’une vitre. Et peut-être bien que le mot coréen sum est comme le mot hevel en hébreu, qui traduit tant le souffle que la buée, voire finalement la vanité des choses. Kim Ki-duk, un nouvel Ecclésiaste, qui sait?



Serge Molla

Ancien membre