Bannissement (Le)

Affiche Bannissement (Le)
Réalisé par Andreï Petrovitch Zviaguintsev
Titre original The Banishment
Pays de production Belgique, France, Russie
Année 2006
Durée
Musique Arvo Pärt, Andrei Dergatchev
Genre Drame
Distributeur xnix
Acteurs Maria Bonnevie, Konstantin Lavronenko, Alexander Baluyev, Maxime Shibaev, Cathérine Kulkina
N° cinéfeuilles 548
Bande annonce (Allociné)

Critique

Après Le retour, voici le second long métrage d'un réalisateur russe qui s'est librement inspiré d'une nouvelle de William Saroyan, "Matière à rire".

Matière à rire il n'y a certes pas dans ce (trop) long film sur l'incommunicabilité et la solitude dans le couple.

Un homme, une femme, un petit garçon et une petite fille vont passer des vacances dans la maison du défunt père du mari, au fin fond d'une campagne reculée. La demeure aux volets clos est peu à peu mise au jour, la famille s'installe dans une vie fruste proche de la nature. La mère déclare à son mari qu'elle est enceinte, mais pas de lui. L'homme (Konstantin Lavronenko, bon Prix d'interprétation masculine) prend très mal la chose et exige l'avortement; son frère, sorte de caïd aux activités incertaines (on le voit au début du film se faire extraire une balle du bras), amène deux spécialistes qui, leur travail fait, s'en vont sans inquiétude pour la jeune femme qui, cependant, meurt dans les heures qui suivent.

Matière à rire il pourrait alors y avoir, avec l'accumulation de calamités qui suit: l'enterrement quasi clandestin, le frère qui fait un infarctus et décède peu après, le mari qui veut faire la peau au père supposé, la nouvelle que sa femme - qui s'est probablement suicidée aux barbituriques, ayant précédemment fait une tentative - était bel et bien enceinte de lui-même (""Nos enfants ne sont pas seulement à nous, et nous ne sommes pas que les enfants de nos parents"").

Esthétiquement recherché, avec de beaux emprunts musicaux à Arno Pärtt, lent et peu verbeux, bien interprété, assez bergmanien (Maria Bonnevie est d'ailleurs une des principales actrices du Théâtre royal de Stockholm) mais péchant par un sens insuffisant de l'ellipse, le film pourra susciter les traditionnels poncifs sur la Russie éternelle, d'autant plus que la dernière séquence montre des paysannes en costume folklorique ramassant de la paille en chantant.

Daniel Grivel


En 2003, Le Retour, premier film d’Andreï Zviaguintsev, reçut le Lion d’Or à la 60e Mostra de Venise, et révélait un nouvel artiste talentueux, digne d’entrer dans le sillage de son compatriote Tarkovsky. Le Bannissement confirme le talent du cinéaste russe.

C’est une œuvre sublime, poétique, qui capte d’emblée le spectateur par la force de l’image, mais dont le message nourri de références bibliques reste à décrypter. Une sorte de tragédie dont les clés de compréhension sont à chercher dans les images de la nature ainsi que dans les strates culturelles, spirituelles, métaphysiques même.

Au premier abord, ce qui éblouit, c’est la qualité formelle du film: les plans sont composés dans une esthétique très personnelle, les déplacements de caméra obéissent à de subtils agencements. Le paysage est travaillé comme un décor avec une sobriété extrême: des collines nues traversées par une route unique, un arbre quelque part, comme celui d’un paradis terrestre. La nature est à la fois belle, envoûtante et désolée. La lumière est faite pour ajouter une touche d’irréalité. Et voici une maison posée en surplomb d’un ravin, flanquée d’une échelle permettant d’ouvrir de l’extérieur les antiques volets. Andreï Zviaguintsev a filmé en Moldavie, en Belgique et dans le nord de la France, et a gommé toutes traces d’identification du paysage pour le rendre abstrait, ou mieux universel. Ainsi le paysage va s’associer à la trame de l’histoire pour éclairer le propos. Il va devenir évocation symbolique et dialoguer avec les personnages.

Quant au scénario, il est librement adapté d’une nouvelle de William Saroyan. Le premier niveau de lecture nous livre une histoire sombre mais pas sans espérance, qui pourrait être le prologue ou une extension du film précédent. En effet, le père, personnage omniprésent dans les deux films, tenterait ici de donner un nouveau sens au mot «père» vis-à-vis de ses deux enfants, alors qu’il n’avait pu assumer son rôle auprès de ses deux fils dans LE RETOUR. Le film met en scène un couple, Alex et Vera avec leurs deux enfants Kir et Eva, quittant la ville pour revenir à la campagne dans la vieille maison familiale. Là, au milieu des collines chauves qui se perdent à l’horizon, s’esquisse une harmonie familiale qui va être bientôt brisée par une révélation. Vera, annonce à son mari qu’elle attend «un enfant qui n’est pas de lui…» Mais ne dévoilons pas la suite de l’histoire que le cinéaste déploie lentement avec un suspens savamment entretenu.

On pourrait se contenter du premier niveau de lecture sur un épisode dramatique de la vie d’un couple en crise. Mais à mesure que le film se déroule, le sens premier, réel certes, s’alourdit d’une autre histoire qui nous déroute. Les personnages, dans une mise en scène épurée, semblent jouer dans un registre qui dit davantage que les mots. Les silences, les quelques bruits de la nature, les illustrations musicales rares et troublantes d’Arvo Pärt et d’Andrey Dergachev, le décor, les enfants, les références bibliques discrètes ou appuyées (une gravure d’Adam et Eve séparés par l’arbre de la connaissance, un puzzle représentant l’Annonciation assemblé par des enfants, la lecture d’un extrait d’une épître de saint Paul sur l’amour…) nous orientent vers un déchiffrement à faire du côté de plusieurs correspondances: l’amour, la filiation, la faute, la vie, la mort. Tenter de rendre visible l’invisible. Ce couple fait écho à la grande histoire de toute l’humanité qui a perdu l’accès au paradis terrestre.

Andreï Zviaguintsev semble multiplier les questions: depuis que la première faute originelle entache le cœur de l’homme, quel poids d’amour faudrait-il pour accorder un pardon? Et puis Vera ne voulait-elle pas greffer cette vie à venir sur un projet d’amour? Oui, que de questionnements! Un film âpre, beau, qu’un seul visionnement ne permet de tarir. Cette œuvre a reçu le Prix d’interprétation masculine pour le rôle du charismatique Konstantin Lavronenko au Festival de Cannes 2007.

Claudine Kolly

Ancien membre

Appréciations

Nom Notes
Daniel Grivel 15
Ancien membre 15
Georges Blanc 16
Serge Molla 18
Antoine Rochat 16
Anne-Béatrice Schwab 16