Passion du Christ (La)

Affiche Passion du Christ (La)
Réalisé par Mel Gibson
Pays de production U.S.A.
Année 2004
Durée
Genre Historique, Drame, Biopic
Distributeur Quinta Distribution
Acteurs Jim Caviezel, Christo Jivkov, Maia Morgenstern, Luca Lionello, Hristo Naumov Shopov
N° cinéfeuilles 478
Bande annonce (Allociné)

Critique

Le Jésus de Mel Gibson: la voix sans la voie.

Dans le film de Mel Gibson, Jésus parle une langue méconnue, aux accents hébraïques, qui empêchent le spectateur de s'approprier directement le message, d'y entendre "la voix du berger appelant ses brebis", pour reprendre un motif évangélique connu, ou d'y entendre la voix trop efficace d'une bande-son mixée en studio. Prononcées en araméen, les paroles du Christ viennent d'ailleurs; c'est comme si elles ne nous étaient pas directement destinées, qu'elles devaient être approchées avec circonspection, restant l'expression d'un ailleurs, à interpréter. Ce qui est d'autant plus frappant puisque les dialogues s'inspirent assez précisément des textes des Evangiles. Sous cet angle, celui de la voix de Jésus, le film est une réussite!

Malheureusement, au niveau des images, le film propose une démarche à l'opposé. Il montre ce que personne n'a vu, en tout cas pas d'aussi près que la caméra le filme; donnant à croire que les Evangiles peuvent fournir le scénario d'un film quasi historique. Or personne n'a vu le visage du Christ en gros plan, pendant plus de deux heures, pas même Marie et les disciples qui suivent sa passion à distance, eussent-ils une caméra avec zoom (l'auraient-ils d'ailleurs supporté?) Si ce n'est au travers d'une vision, mystique et doloriste datée mais respectable en soi - qui n'a rien à voir avec l'approche hyperréaliste de ce cinéma au grand cœur.

D'où le malaise que génère cette passion: les images et la voix ne se correspondent pas. Dès lors, la voie que le Christ trace, dans sa vie et dans sa passion, n'est guère intelligible. Rapidement les images, d'une grande violence, sollicitent toute l'attention et empêchent la voix de Jésus de montrer une voie, de signifier un chemin de vie au travers du mystère des souffrances de l'Innocent.

Michel Kocher


Mel Gibson a livré "son" Jésus, un Christ de douleur, analogue à celui présenté dans un mystère du Moyen Age. Ainsi donne-t-il à voir, à travers un chemin de croix comportant toutes ses stations et tous ses personnages, la souffrance avant tout physique d'un homme, et cela avec un réalisme insoutenable, mais si exagéré qu'on n'y croit plus. Ce film n'est pas antisémite. Toutefois, en Europe et aux Etats-Unis, il est aujourd'hui presque impossible de ne pas (sur)interpréter comme telles des scènes évoquant la virulence des autorités juives à l'endroit de Jésus, alors qu'au moment où les évangiles ont été rédigés, s'opérait un grave et définitif déchirement à l'intérieur même du judaïsme entre juifs et chrétiens naissants.

Le cinéaste expose sa vérité dans ces images fortes d'un homme qui meurt moins en raison de l'opposition Dieu-humanité, que celle d'un groupe d'humains coupables au vrai peuple de Dieu non coupable. A la foule et aux soldats présents s'opposent quelques proches de Dieu: Marie (mère de Jésus, omniprésente), Marie-Madeleine, Jean. Marie supplie même: "Permets-moi de mourir avec toi", comme une parole que pourrait prononcer l'Eglise. La perspective du cinéaste apparaît donc clairement comme catholique insistant sur l'exemple de cet homme plus que sur le ""pour nous"", alors même qu'Esaïe 53 est cité au début du film, moins pour proposer une interprétation de tout ce qui va suivre que pour insister sur la souffrance du témoin (martyr) de Dieu. Une fois encore, le factuel dépasse le sens; certes le sang coule en abondance - il peut même être recueilli -, mais davantage lors de la torture et en chemin qu'en croix: Jésus risque alors d'être plus le jouet des événements que celui qui en révèle le sens. Quant à la marque du Malin, passe-t-elle vraiment pour des effets d'insistance, tels les ralentis (le baiser de Judas, p. ex.) ou par l'exposition de détails sordides (le corbeau crevant l'œil du larron crucifié qui se moque de Jésus, p. ex.)? Et suffit-il de montrer au plus près (caméra au poing) la chair pour faire encore mieux apparaître la vérité de ce qui s'y incarne?

Autant dire que sont révélatrices l'attention portée à ce film qui estime montrer toute la vérité - le choix des parlers araméen et latin s'inscrit dans cette perspective - et celle qu'a suscitée la série télévisée L'Origine du christianisme (qui à l'inverse ne montre rien). Elles manifestent le désir d'être fixé une fois pour toutes sur ce Jésus, sur les faits qui se sont réellement déroulés et sur leurs conséquences (naissance du christianisme et de l'Eglise). Le problème est que ni le film de Gibson, ni le documentaire de Jérôme Prieur et Gérard Mordillat ne prouvera quoi que ce soit. D'ailleurs n'est-ce pas trop demander au film de fiction ou au documentaire de démontrer que ce personnage était bien le Fils de Dieu? Ou, à l'inverse, d'exiger d'eux qu'ils démontrent définitivement que ce Jésus de Nazareth ne fut au fond qu'un prédicateur particulier condamné notamment comme blasphémateur?

Serge Molla

Serge Molla