L'édito de Sabrina Schwob - De la Cité de Dieu à la Cité merveilleuse…

Le 29 novembre 2017

De retour d'un séjour de trois mois au Brésil et constatant la projection d'un documentaire sur les favelas à la Cinémathèque suisse, profitons de l'occasion pour donner quelques pistes de réflexion autour de la représentation contrastée des favelas dans plusieurs œuvres phares du cinéma brésilien.

A la seule évocation du nom de l'ancienne capitale brésilienne, Rio de Janeiro, des images de cartes postales défilent dans l'esprit du voyageur, des fameuses plages de Copacabana, Ipanema, du Christ Rédempteur ou encore du Pain de Sucre, auxquelles se juxtaposent des airs de bossa-nova. Cependant, à ces images idylliques d'autres s'ajoutent propres à ternir ce premier tableau de la "Cidade Maravilhosa". En effet, à partir de n'importe quel point de vue touristique de la ville, se niche aux creux des collines de nombreuses favelas, bidonvilles dans lesquels l'état de droit n'est pas toujours respecté et où les trafiquants de drogue se livrent entre eux, ou contre la police, des luttes acharnées pour obtenir le monopole du lieu.

La fascination s'exerce chez le touriste autant par la beauté des premières images que par l'incompréhension quant à cette omniprésence du danger, de la violence que représentent les favelas.

Grâce au cinéma, un zoom est permis sur ces lieux - qu'il est sinon vivement déconseillé de visiter. Les représentations en sont diverses et variées. Dans le Cinema Novo, mouvement du début des années 1960 qui revendique un cinéma mêlant intimement politique et esthétique dans une visée de dénonciation des problèmes socio-économiques du pays ainsi que de l'hégémonie culturelle et économique des Etats-Unis sur le Brésil, la favela, par l'état d'extrême pauvreté de ses habitants, devient un des lieux symboliques clés. Cinco vezes Favela, par exemple, réunit cinq courts métrages, tous réalisés par un cinéaste différent, abordant chacun un aspect singulier propre à cet espace: la tentation de mener une vie criminelle dans Um Favelado (Marcos Farias); la résistance face à un "oppresseur" dans Zé da Cachorra (Miguel Borges) et Pedreira de São Diogo (Leon Hirszman); les moyens cruels auxquels un groupe de jeunes enfants ont recours pour survivre (Couro de Gato, Joaquim Pedro de Andrade) et l'importance de la musique dans Escola de Samba, Alegria de Viver (Carlos Diegues).

Plus tard, des films tels que A Cidade de Deus (Fernando Meirelles, 2002) ou Tropa de Elite (José Padilha, 2007) - incontestables succès au box-office - s'approprient aussi les décors de la favela et tendent à cristalliser, par une esthétique du spectaculaire, son image comme lieu d'ultra violence, sans toutefois permettre de comprendre l'immersion de cette violence et les problèmes socio-économiques qui la sous-tendent.

Samuel Chalard, réalisateur suisse, s'est lui aussi intéressé, pour son premier long métrage - le documentaire Favela Olímpica (2017) - aux habitants d'une favela, la Vila Autódromo, deux ans avant les Jeux olympiques de Rio. A l'orée du parc olympique, celle-ci dérange la mairie de la ville, qui désire en raser les anciennes demeures et y construire un complexe nouveau, tout en proposant un relogement ou une indemnisation aux habitants. Une vingtaine d'entre eux s'y refusent. Le réalisateur suisse, en donnant une voix à ces habitants de la favela, offre alors une meilleure compréhension de cette situation : la représentation que l'on peut se faire des favelas est ainsi bouleversée. Loin d'insister sur la violence et la dangerosité, le réalisateur semble vouloir nous montrer qu'il est possible pour des individus de vouloir y vivre, d'investir ce lieu. Le propos d'un des protagonistes illustre bien cette idée: «Ce n'est pas une maison de rêve (sa maison) mais la maison de mes rêves».

Sabrina Schwob