L'édito de Serge Molla - Subjectivité éclairante

Le 06 octobre 2006

Ces dernières semaines, la télévision n’a cessé de montrer l’évacuation des colonies juives de la bande de Gaza. Images souvent fortes, mais parfois bien complaisantes. A-t-on assisté à un semblable défer-lement médiatique lors de la destruction de maisons palestiniennes?

Lorsque, sous prétextes d’images à livrer quotidiennement, les médias recherchent à tout prix l’image-choc qui captivera le téléspectateur et prédominera par sa soi-disant objectivité, le film de fiction interroge. N’en dit-il pas davantage que les images «brutes» filmées en direct ou rapidement montées avec un commentaire trop descriptif? En outre, lorsque rapidité, efficacité et taux d’audience se convoquent mutuellement, le risque est grand pour le média tv non seulement de manipuler son public, mais de se faire manipuler. Johnie To dénonçait précisément cela dans son récent long-métrage BREAKING NEWS, tout comme le magistral DES HOMMES D’INFLUENCE de Barry Levinson exhibait en 1998 le redoutable pouvoir de ce média. D’ailleurs la réalité dépasse parfois de loin la fiction. Souvenez-vous de Colin Powell projetant en mondiovision des soi-disant «preuves» destinées à autoriser l’entrée en guerre des Etats-Unis en Irak!

Alors aujourd’hui, à propos du conflit Israël-Palestine, le détour par le documentaire engagé ou la fiction s’impose. Pourquoi? Parce que l’un et l’autre n’en propo-sent pas un savoir prétendument objectif, mais le partage d’un regard. Le réalisateur ne donne pas plus de leçon qu’il ne résume en une heure et demi un conflit d’une rare complexité. Il veut juste raconter une histoire dont il ne prétend même pas qu’elle est véridique. Pourtant si elle permet de quitter les sentiers de l’information froide où certains mots n’ont guère de réalité et de les parer de chair et d’os, cela pourrait changer mon propre regard, voire même ma compréhension de ce qui se joue humainement là-bas. Ainsi en va-t-il des mots «réfugié, terroriste, sacrifice, humiliation…»

Du documentaire MUR de Simone Bitton, j’ai retenu le franchissement (quotidien) de ce mur par quelques hommes et femmes et ai gardé en mémoire une image, celle d’un trompe-l’œil représentant une ville au loin avec au premier plan quelques arbres qui s’élancent vers le ciel et dont les plus hautes branches font corps avec celles de véritables arbres plantés de l’autre côté du mur. Ici plus de théorie, mais du vécu sans jugement enfermant. Et la fiction s’inscrit dans un mouvement analogue en relatant, avec PRIVATE, l’occupation provisoire d’une maison palestinienne, ou l’attentat suicide projeté, avec PARADISE NOW. Ces deux films récents travaillent des émotions fortes en témoignant de ce qui meut en profondeur des individus. Ils exposent moins des théories, des idées politiques ou des convictions religieuses qu’ils ne mettent en lumière des douleurs, des humiliations, des espoirs, des amours… qui imprègnent des choix. Et il ne s’agit pas de justifier tel comportement (terroriste), mais de tenter de révéler ce qui échappe à l’information, au savoir. C’est ainsi qu’un film devient un «produit», aussi indispensable que le liquide qui fait apparaître une photographie. Pas un produit de consommation, mais un révélateur nécessaire pour moins consommer le mon-de que l’approcher et peut-être le compren-dre.

Serge Molla (CF 509)