L'édito de Serge Molla - Danger aux frontières

Le 15 mai 2016

La vieille Europe tremble et se raidit en beaucoup de lieux. Celle qui, hier, rêvait à de fluides passages inter-états, sans contrôle, en rétablit de nouveaux. Autant dire que le mot frontière retrouve sens au niveau spatial et politique, alors qu’à l’inverse  les repères s’estompent dans la vie quotidienne. Où se situent désormais le privé et le public, le social et l’intime ?

Hier, romans et autobiographies ne se confondaient pas, alors qu’aujourd’hui fleurissent les autofictionsqui brouillent les pistes. Le cinéma opposait hier sans ambiguïté œuvres de fiction et documentaires. Aujourd’hui, il est parfois difficile, voire délicat de distinguer les premières des seconds, comme l’attestent plusieurs films présentés au récent festival Visions du réel de Nyon. Serait-ce qu’opposer fiction et documentaire n’est plus de mise ? Le second serait-il en voie de disparition ? Pas du tout, heureusement, car ce qui distingue les deux genres – et permettra peut-être de ne pas les réduire l’un à l’autre –, c’est le fait que les personnages filmés jouent leur propre histoire et n’interprètent pas un scénario. Parfois ils mettent en scène un témoignage, mais le leur ; ils ne donnent pas corps à un texte écrit qui ne leur appartiendrait pas.

Quoi qu’il en soit, il est vrai à l’inverse de celles de l’espace européen, les frontières de genre deviennent poreuses. Avec pour point commun – lorsque la qualité est au rendez-vous– l’enrichissement du regard : le lointain se rapproche, le proche n’est plus étranger,une compréhension se dessine. Le réel acquiert alors, voire retrouve, une épaisseur bienvenue au temps où le virtuel se déploie.

Avec le documentaire, on ne « like » pas autrui en le dévisageant. Au contraire, on se met à envisager une rencontre. Désormais, l’autre n’est plus une image qui se confond avec  des milliards d’autres, il un visage, une voix, le voici réel.

Serge Molla