L'édito de Nadia Roch - Lettre à Jacqueline Veuve

Le 14 mai 2013

Chère Jacqueline,
Vous avez tiré votre révérence, après une vie parsemée de succès, d'amour, de luttes mais aussi d'embûches.


Bibliothécaires de formation - nous avions ce point commun -, nous nous sommes rencontrées chez vous à plusieurs reprises. Nous avons parcouru vos documents dans le but d'opérer un premier tri. Nos opinions divergeaient parfois: d'un côté, vous étiez prête à jeter une lettre pourtant révélatrice de votre formidable carrière de cinéaste, de l'autre, vous ne parveniez pas à vous défaire de vos papiers, témoins de votre vie professionnelle. En effet, les confier à une archiviste, enchantée de les traiter avec l'honneur qu'ils méritent, représentait pour vous un déchirement... comme si vous abandonniez ou perdiez une partie de vous-même. Car permettez-moi de vous dire, chère Jacqueline, que vous aviez un sacré caractère: lors de nos diverses discussions, l'envie de vous «tordre le cou» s'est quelquefois manifestée... mais c'est grâce à cette force que vous avez réussi à vous imposer en qualité de réalisatrice dans une profession qui, il faut bien le dire, était un univers essentiellement masculin. Ces messieurs, comme vous le rappeliez souvent, vous considéraient comme la secrétaire et ne vous prenaient pas toujours au sérieux. C'était méconnaître votre tempérament: exigeante, volontaire et passionnée, vous êtes parvenue à vous faire respecter grâce à votre travail acharné et à votre immense talent.
A travers votre filmographie, vous êtes entrée dans la vie des gens, vous avez valorisé leur profession, vous avez raconté de très belles histoires... Aujourd'hui, nous sommes orphelins, mais vous laissez une œuvre chargée d'émotion, exprimant la vie, les coutumes et les traditions de ce pays.
Alors merci pour cet héritage, merci d'avoir ouvert le chemin aux femmes dans ce domaine, merci pour votre engagement, merci pour votre persévérance, merci d'avoir partagé votre savoir-faire avec la nouvelle génération de cinéastes, merci d'avoir su imposer le documentaire comme un art cinématographique à part entière.
Pour prendre congé de vous, je citerai les paroles touchantes de Fernand Melgar qui, à l’image de Lionel Baier et d’autres professionnels de la branche, ont eu la chance de travailler pour vous: «Je vous aime».

Nadia Roch