Spiritualité et septième art

Le 23 février 2006

La Bible fait-elle écran? Un sujet biblique produit-il un bon scénario? Faut-il être croyant pour faire un bon film? Y a-t-il des films chrétiens ? Les questions se bousculent.

Au début d’AMADEUS de Milos Forman p.ex., le compositeur Salieri avoue à son confesseur sa colère contre Dieu : n’a-t-il pas permis à ce « bouffon de Mozart qui s’est vautré dans… » de créer une musique divine alors que lui Salieri, qui avait tout sacrifié, n’a jamais été rendu capable de composer pareil « Requiem » ? Autrement dit, ce n’est pas forcément les plus fortes convictions qui génèrent les œuvres les plus marquantes, et il en va de même au cinéma qu’en peinture ou en musique.

C’est qu’une image de cinéma n'est pas neutre, elle n'est jamais une simple illustration ; elle offre une interprétation et invite à une lecture profonde, subtile; elle a un langage qui sous-entend une grammaire qu'hélas on apprend peu, sinon en s'arrêtant, en découvrant la densité d'une oeuvre. De nombreux cinéastes – et d’excellents – se sont inspirés de la Bible et du christianisme : ainsi les Bunuel, Pasolini, Rossellini, Bergman, Bresson… Mais la spiritualité peut prendre d’autres formes. Le film s’apparente alors à la parabole. D’ailleurs l'explicite ne renvoie-t-il pas à l'apparent, à ce qui se voit, à la surface, alors que l'implicite déroute tout en menant parfois plus en profondeur ?

Autant dire que la spiritualité se jouera moins tant là où certains l’attendent – dans le dernier film sur Jésus, LA PASSION DU CHRIST de Mel Gibson p.ex. –, que dans le traitement spécifique du récit. Le geste cinématographique rejoint le questionnement théologique lorsque le réalisateur suggère ou souligne que « l’homme est le langage de Dieu ». Ainsi des films aussi différents que LE FESTIN DE BABETTE, TROIS COULEURS : BLEU ou LES AILES DU DESIR, mais aussi IMPITOYABLE, SECRETS ET MENSONGES et IN AMERICA appellent le spectateur à s’interroger sur sa relation à l’autre (l’Autre), sur ce qui fait ou défait une vie, sur ce qui lui donne sens. Et parfois, comme dans Bleu, le cinéaste livre une œuvre à la manière du Cantique des Cantiques, d’où est absent le nom de Dieu et qui ne fait qu’en parler.

Autant dire que ce qui compte c'est le talent du réalisateur et de son équipe, acteurs compris, qui ensemble vont transformer, voire faire grandir, leur spectateur. Du coup, l’œuvre proposée ne fera plus écran à l’essentiel, mais s’offrira comme un écrin subtil. Elle se regardera alors vraiment, c’est-à-dire se gardera deux fois. Pour les yeux et le cœur, car on ne voit bien qu’avec le cœur, non ?

Serge Molla