Festival International du Film de Fribourg 2013

Le 24 mars 2013

Le Jury International du FIFF ne s’y est pas trompé : THREE SISTERS, seul documentaire en compétition, est sans aucun doute l’événement de ce 27e Festival.

FIFF2013En voici le Palmarès complet.

Réussir à filmer la vie d’enfants chinois, perdus à 3200 m. d’altitude, dans le dénuement d’un petit village du Yunnan, tenait de la gageure. Pari tenu : de ce quotidien partagé, de ce portrait d’oubliés de la société, le cinéaste dégage comme un message universel. 
Le Jury œcuménique lui a aussi attribué son prix : «THREE SISTERS montre avec pudeur et respect l’envers de la globalisation, la consommation et les conséquences subies par ceux qui restent, les plus faibles, les enfants. L’approche cinématographique choisie nous ouvre à un univers équilibré entre la précarité du quotidien et l’amour, la tendresse et la responsabilité entre ces trois sœurs. Le film induit une réflexion sur nos propres choix et notre responsabilité ». THREE SISTERS récolte aussi les prix «Don Quijote» (FICC) et E-Changer (Jury des jeunes).
Autres prix décernés : WADJDA (Prix du public), PENANCE (Prix FIPRESCI), LOS SELVAJES (Prix spécial du Jury), IT’S A DREAM (Talent Tape), WATCHTOWER (Mentions de la FICC et du Jury œcuménique).

Three Sisters      Wang Bing, Hong-Kong/FranceThreeSisters

Yingying a 10 ans, ses deux soeurs 6 et 4. Elles vivent dans un village perdu et boueux des montagnes du Yunnan chinois. Les parents sont partis, l’école à la ville est trop chère.Reste un grand-père peu affectueux, une tante et quelques cousins. Les trois filles survivent, s’occupent des moutons, ramassent du bois ou les crottes des animaux pour se chauffer ou engraisser les champs. 
Seul documentaire en compétition THREE SISTERS est tout simplement remarquable. Le cinéaste chinois Wang Bing nous fait partager la vie quotidienne et les conditions misérables – mais sans misérabilisme aucun ! – de Yingying, de ses deux sœurs et des autres enfants. Un document bouleversant de 2 1/2h., tourné en trois fois, sur une année. Le cinéaste parvient à capter gestes, paroles et regards avec une sensibilité rare. Les paysages de cultures en gradins sont  somptueux, avec une magnifique brume souvent présente. Un documentaire émouvant et retenu, un petit miracle cinématographique.

El Limpiador     Adrian Saba, Pérou

Une épidémie foudroyante et meurtrière fait de terribles ravages dans la ville de Lima. Eusebio, homme d’âge mûr, solitaire et bourru, est chargé de nettoyer les lieux après la levée des corps. Un jour, il découvre dans une maison un enfant abandonné de huit ans, du nom de Joaquin. Eusebio, plus proche de la mort que de la vie, devra s’ouvrir à ce petit orphelin, l’apprivoiser et le prendre en charge. Même si le garçon se mure dans un placard et dans le silence…
Histoire de deux solitudes, de deux êtres abandonnés par leurs familles et par le monde, EL LIMPIADOR (le « nettoyeur ») est un film de petits gestes, de regards, presque sans paroles, ponctué de scènes très fortes. Il n’en reste pas moins que le récit est très lent, et que l’on pressent bien souvent ce qui va arriver. Quelques semaines de vie, pleines d’émotion, mais qui s’étirent un peu.

Fill the Void   Rama Burshtein, Israël

FillTheVoid

Des amours compliquées dans la communauté hassidique de Tel-Aviv.

Tandis que Shira, dix-huit ans, se réjouit d’épouser un jeune homme de bonne famille, sa sœur de vingt-huit ans, Esther, meurt en couches. Le mariage est repoussé et le deuil prend alors des dimensions inattendues.
La réalisatrice Rama Burshtein, assez proche semble-t-il des milieux traditionalistes, n’émet pas de critiques et ne prend pas de distance face à une conception très «intégriste» de la religion. Une démarche ethnographique, en quelque sorte. Par un choix judicieux des cadrages et de la lumière (flous et clairs-obscurs), la cinéaste réussit à traduire l’étouffement progressif de cette communauté fermée à double tour. Tout y contribue: la manière d’être, celle de se vêtir, avec une interférence constante des rituels religieux dans la vie quotidienne. Un film plein d’émotion et porté par l’actrice principale, Hadas Yaron (Prix de la meilleure actrice à Venise 2012), dont le jeu, tout en retenue et en nuances, est remarquable.

In the Name of Love   Luu Huynh, Vietnam

Quelques cabanes sur pilotis, un petit village de pêcheurs vietnamiens. Khanh et Nhung forment un couple amoureux, mais le mari se révèle stérile. Nhung décide alors de lui donner tout de même un enfant: elle couche secrètement avec Linh, un voisin. Mais ce dernier sombrera dans l’alcool et ne supportera pas de vivre avec ce secret: il exigera qu’on lui rende «son» enfant.
Le réalisateur vietnamien Luu Huynh opte pour le drame sentimental, avec tension relationnelle et violentes bagarres. La narration mélange le présent avec des scènes du passé ou du futur, plusieurs séquences se répétant au gré des circonstances, mais tout cela est assez gratuit et de peu d’intérêt, les rebondissements tenant plus du film d’action que de la réflexion psychologique. Malgré une mise en scène bien maîtrisée et un choix judicieux des cadrages et des décors, cette débauche d’énergie paraît désordonnée et finit par lasser.

It’s a Dream     Mahmoud Ghaffari, Iran

Roya, jeune femme célibataire, vit dans un internat où l’on ne badine pas avec la discipline. Elle essaie d’échapper à la surveillance de ses gardiennes pour aller en ville. Énergique et rusée, elle jongle avec les emprunts financiers et se retrouve bientôt au cœur d’un petit système qui pourrait bien se révéler lucratif. Mais voilà: elle-même doit rembourser une grosse dette. Elle découvre de plus qu’elle est enceinte. Inégalité sociale et traitements médicaux discriminatoires vont vite gripper la machine.
Ce film iranien raconte la véritable descente aux enfers d’une jeune femme courageuse qui n’hésite pas à se battre et à croiser – en particulier - des milieux financiers plus que douteux. La critique de la société est pointue et le cinéaste Mahmoud Ghaffari n’y va pas par quatre chemins. IT’S A DREAM est soutenu par des acteurs impeccables, par des dialogues à la fois denses et concis. Le film est tendu, haletant et réussi, même si la conclusion reste un peu ambiguë. Inutile d’ajouter que le réalisateur iranien a dû tourner en grande partie dans la clandestinité.

penance

Penance       Kiyoshi Kurosawa, Japon

La cour d’école d’un paisible village japonais: quatre fillettes sont témoins du meurtre d’Emili, une camarade de classe, mais sous le choc aucune d’elles n’est capable de décrire le tueur. Asako, la mère d’Emili, désespérée de savoir le coupable encore en liberté, les convie les quatre chez elle et les met en garde: si elles ne se remémorent pas le visage du meurtrier, elles seront maudites et incapables de mener une existence sereine…
Adaptation d’un roman, PENANCE confirme le talent du cinéaste japonais Kiyoshi Kurosawa. Construit en quatre chapitres et un épilogue, ce film-fleuve embarque le spectateur dans des atmosphères étranges et des histoires qui sont autant de plongées dans le monde intérieur de chacun. Il n’y a rien de commercial dans cet opus qui tient autant du polar que du fantastique, du mélodrame que de la comédie (noire). Reste le problème de sa durée – quatre heures et demie -, donc de sa diffusion sur nos écrans.

 Sleepless Night    Jang Kun-jae, Corée du sud

Après deux ans de mariage, un jeune couple se dit qu’il est peut-être temps d’avoir un enfant. D’autant plus que l’entourage insiste... Mais le manque d’argent reste un obstacle avant de franchir ce pas: lui est ouvrier d’usine, exploité par son patron, et elle est professeur de yoga. Peut-on construire une famille dans ces conditions-là ?
Le film du cinéaste sud-coréen Jang Kun-jae, linéaire dans son récit et sans surprise, se lit comme une suite de sketches intimistes et d’un intérêt parfois moyen. Les dialogues ne dépassent pas le niveau du déjà entendu, et le traitement de l’image – essentiellement des plans fixes - est assez classique. Gestes quotidiens, vie ordinaire, amours et disputes d’un couple par ailleurs sympathique, SLEEPLESS NIGHT, tourné avec une grande économie de moyens, reste un film sympathique, porté qu’il est par deux jeunes et excellents acteurs.

Wadjda Haifa Al-Mansour, Arabie saoudite/Allemagne

Voir la critique de Nicole Métral, ainsi que les lignes de Serge Molla (Festival de Venise 2012).

Watchtower  Pelin Esmer, Turquie - Mention accordée par le Jury oecuménique

Hanté par un tragique accident, Nihat choisit de quitter la ville et d’accepter un poste de gardien anti-incendie. Il commence une nouvelle vie solitaire, perché sur une tour de surveillance et isolé au milieu d’immenses forêts. Dans la station-service voisine, unique lieu de vie humaine aux alentours, il rencontre Seher, jeune femme enceinte engagée comme serveuse. Elle aussi porte en elle un lourd passé. Les deux personnages vont se rapprocher, Nihat aidant Seher à se remettre sur les rails.
Description de deux mondes secrets qui vont peu à peu s’ouvrir l’un à l’autre, WATCHTOWER accompagne un homme et une femme que la vie n’a pas épargnés. La caméra de la cinéaste turque Pelin Esmer a trouvé la bonne distance: l’émotion est retenue, les protagonistes – un rôle difficile pour Seher – parlent peu, enfermés qu’ils sont dans leur tristesse intérieure, comme perdus aussi dans les grands espaces boisés. Le rythme est lent, pesant parfois, mais la fin, ouverte, laisse une petite lueur d’espoir.

Los Salvajes    Alejandro Fadel, Argentine

Un centre de redressement pour jeunes criminels, en Argentine. Cinq d’entre eux tuent deux gardiens et s’évadent. Commence alors une errance d’une centaine de kilomètres, à travers la pampa, par monts et vaux rocailleux. Les fuyards chassent pour se nourrir, volent, se droguent, se battent entre eux, tuent, et se font tuer aussi. Ces ados sont-ils à la recherche de leur passé? Ou d’un lieu où se forger une autre forme d’existence, aux confins du monde. Cette longue marche, de tonalité réaliste au premier abord, se mue peu à peu en une fable fantastique, sans signification apparente. Le traitement des images – constants passages de gros plans (visages ou petits détails) à des plans d’ensemble (paysages souvent magnifiques) – ne contribue guère à donner un sens à cet étrange voyage. LOS SALVAJES – c’est une volonté sans doute du réalisateur -  n’offre pas de véritables pistes de réflexion. Le film reste d’une beauté mystérieuse, mais creuse.

Bwakaw    Jun Robles Lana, Philippines

Rene habite près de Manille. Vieil homosexuel taciturne, il pense qu’il est trop tard pour l’amour, la politesse ou la générosité : il attend la mort de pied ferme et s’est même acheté un cercueil, prêt à l’usage, avec lequel il s’amuse à effrayer ses voisins…  Le jour où il découvre que son chien Bwakaw  est cancéreux, son équilibre précaire de vie vacille. Paradoxalement il se met en demeure de revisiter son passé, ce qui lui permettra de donner un second souffle à son existence.
BWAKAW est un long métrage silencieux. Dialogues concis, bruits feutrés, quelques rares notes de musique. Le film du cinéaste philippin Jun Robles Lana débute comme une petite comédie de moeurs, s’attache ensuite au protagoniste central et se transforme finalement en poème mélancolique. Portrait en demi-teinte d’un homme fatigué, BWAKAW propose aussi, comme antidote, une galerie de personnages secondaires joyeusement pittoresques. Voilà un film délicat, en même temps qu’une réflexion (et un divertissement) de qualité.

Your Time Is Up   837     Kim Sung-hyun, Corée du Sud

Deux frères vivent ensemble. Le premier ne fait rien de bon et a emprunté beaucoup d’argent au second, qui le somme de le rembourser dans la semaine. L’endetté se retrouve coincé, d’autant plus qu’il sacrifierait tout pour l’amour qu’il voue à une jeune barmaid, à qui il a précisément prêté son argent. Tout cela va le mener à sa perte, entraînant en même temps son grand frère dans un engrenage de vengeances et de règlements de comptes meurtriers.
Thriller noir sud-coréen standard, YOUR TIME IS UP ne fait pas dans la dentelle. Le sang gicle très vite, les truands sont légion, et la vengeance, sous toutes ses formes, deviendra le moteur d’une intrigue dont l’intérêt ira diminuant… La technique et la maîtrise cinématographique du cinéaste ne sont pas en cause : priorité donnée aux détails, choix des atmosphères, élégance formelle, action et violence, le contrat « cinéma-spectacle » est rempli. Côté originalité et subtilité psychologique, on peut repasser…

A propos dudit Festival, on lira également sur Protestinfo.