48èmes Journées cinématographiques de Soleure

Le 23 février 2013

Regards, affection et grincements...

Depuis NI OLVIDO, NI PERDÓN, en 2003, Richard Dindo a délaissé les thématiques politiques stricto sensu pour s’atteler à «l’enrichissement de son territoire». Pour lui, la parole et l’écriture demeurent indissociables de l’image.

Dans la série CINÉMAsuisse (1), This Lüscher dévoile quelques traits de RICHARD DINDO, CINÉASTE DE LA MÉMOIRE, qui puise aussi son imagination auprès d’écrivains comme Louis Aragon, André Gide, Marcel Proust, Stendhal. Ce «soixante-huitard jusqu’au bout» possède deux domiciles: un à Paris où il se sent plutôt «en vacances», le second à Zurich, «une ville idéale pour travailler». L’émotion point lorsqu’il se rend dans l’Unterfeldstrasse où il a passé son enfance, lui qui fut livré à lui-même alors qu’il n’avait que douze ans… Des extraits de films, comme ERNESTO «CHE» GUEVARA – LE JOURNAL DE BOLIVIE (1994), emblématique du regard et de l’affection qu’il porte sur ses «personnages», alternent avec les séquences assertives.

Dans son dernier opus, VIVALDI IN VENEDIG, Friedericke Wagner égrène, en voix off, la biographie du très prolifique compositeur (4 mars 1678 – 28 juillet 1741), virtuose du violon, qui avait failli succomber d’une pneumonie peu après sa naissance. L’aîné de neuf enfants se fit ordonner prêtre, plus par stratégie que par vocation, car à l’époque, dans la cité lagunaire, l’échafaudage d’une carrière nécessitait que l’on bénéficiât de la protection de la noblesse et de l’Église catholique. Il n’exerça jamais vraiment son ministère, préférant se vouer à sa passion.

Tout au long du magnifique moyen-métrage, l’orchestre baroque vénitien, sous la houlette du claveciniste Andrea Marcon, interprète des pièces sacrées et profanes du maître. Les seize mouvements, avec seulement quelques notes des «Quatre saisons», permettent d’appréhender le si riche répertoire d’Antonio Vivaldi: sonates, concerti, arias, ainsi que des chants magnifiés par la contralto Sara Mingardo et la soprane Alice Borciani. Les lieux de tournage contribuent à l’enchantement: l’Église Sant’Antonin, le Palais Zenobio, l’école dei Carmini, la salle de l’Ospedaletto. Les vedute, ces fresques urbaines du peintre Giovanni Antonio Canal, dit «Canaletto», restituent parfaitement l’atmosphère du XVIIIe siècle. Des plans sur les canaux complètent le décor. L’auteur du «Stabat Mater» acheva misérablement sa brillante existence. Il fut enterré, à Vienne, dans la fosse commune du cimetière pour indigents du Bürgerspital, rasé en 1789. Une plaque posée, le 4 mars 1978, situe l’endroit de l’inhumation. Pendant plus de deux cents ans, les créations de l’éminent artiste n’avaient plus été jouées. Au début du XXe siècle, on les redécouvrit pour le bonheur des mélomanes et des personnes désireuses d’élargir leur horizon culturel.

ESTHER UND DIE GEISTER nous place face à trois victimes de viols, commis le 31 octobre 2002 à Bangui, la capitale de la République centrafricaine, par les soudards de Jean-Pierre Bemba Gombo (2), le leader du Mouvement de libération du Congo. Esther avait sept ans, Judith, neuf. Les barbares avaient tué leur papa avant de se ruer sur Chantal, la maman, qui venait d’accoucher du petit Emmanuel. Le cauchemar de ce jeudi imprègnera à jamais la première nommée. Parfois, elle rit, chante, imagine se marier et fonder un foyer, mais les esprits malins la hantent. Elle aimerait que la «grande dame», «la sorcière», la laisse tranquille. L’aînée la convainc de préparer le test qui se déroulera à l’Alliance française. Esther sera admise dans un cours pour débutants. Pour ce court métrage, réalisé dans le cadre de la série «Histoires de filles» de la chaîne germanophone 3 Sat, Heidi Specogna a reçu, le 8 décembre 2012 à Nuremberg, le Prix allemand des droits de l’homme dans la catégorie «Professionnels».

Durant dix ans, jusqu'en décembre 2009, Corina Zünd et sa sœur jumelle Seraina travaillèrent comme accompagnatrices sur des trains de nuit entre Zurich et l'Italie. Les terminus: Venise, Rome, Lecce (dans les Pouilles) ou Villa San Giovanni en Calabre. GIÙ E SU: le titre reprend une expression maintes fois entendue de la bouche de voyageurs, le va-et-vient nord-sud, la navette entre l'ancienne et la nouvelle patrie. Celle de l'employée des CFF résidait dans le grincement des wagons et l'impression de suspension que confère l'obscurité. Une partie des innombrables photos qu'elle avait prises, elle l'a utilisée pour son court métrage empreint de nostalgie en y greffant des sons a posteriori. En octobre 2011, elle entreprit un déplacement vers les destinations où l'avait conduite l'express rayé des plannings. Les interviews des passagers, elle les a transformées en monologues, instantanés d'histoires individuelles dans lesquelles reviennent souvent des conjectures sur la fugacité du temps...

L’exposition dans la Freitagsgalerie, dédiée à Stephan Portmann, co-fondateur et directeur pendant vingt ans des Journées, décédé le 29 mars 2003, a heureusement attiré quelques centaines de cinéphiles qui n’oublient pas ce que le Septième Art helvétique doit à ce pionnier.

 René Hamm

(1) Neuf autres portraits ont figuré à l’affiche: Marc Forster, Jean-Luc Godard, Claude Goretta, Xavier Koller, Fredi Melchior Murer, Daniel Schmid, Silvio Soldini, Michel Soutter, Alain Tanner.

(2) Accusé de crimes contre l’humanité et de guerre, il est traduit devant la Cour pénale internationale de La Haye. Le procès reprendra le 4 mars 2013.