Cannes 2016 - Compétition officielle

Le 09 juin 2016

21 films cette année à se disputer la Palme d'or, soit 21 réalisateurs pleins d'espoir, les uns présentant leur nouvel opus, les autres leur premier film à être sélectionné à ce niveau.

La sélection officielle est la plus convoitée et la plus réputée des compétitions: elle propose une vingtaine de longs métrages de cinéastes reconnus et réputés. Elle est la plus médiatisée grâce notamment à la foulée du tapis rouge par les stars. Des films hors-compétition font partie de ce choix, proposant des films pour le grand public, souvent des blockbusters à gros budget, pour les soirées spéciales ou les séances de minuit. 

Le Jury SelectOff Jury2016

Le président : George Miller (réalisateur australien), Arnaud Desplechin (réalisateur français), Kirsten Dunst (Actrice, productrice, réalisatrice, scénariste  américaine),

Valeria Golino (Actrice, productrice, réalisatrice, scénariste italienne), Mads Mikkelsen (Acteur danois), Làszlò Nemes (Réalisateur, scénariste hongrois),

Vanessa Paradis (Actrice, compositeur française), Katayoon Shahabi (Coproducteur iranienne), Donald Sutherland (Acteur, producteur, producteur exécutif, scénariste canadien)

 

Palmarès

Palme d'or pour Moi, Daniel Blake de Ken Loach

Grand Prix du Jury pour Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Prix de la mise en scène pour Baccalauréat de Christian Mungiu et Personal Shoper d'Oliiver Assayas.

Prix du meilleur scénario et Prix du meilleur acteur masculin (Shahab Hosseini) pour Le Client d'Asghar Farhadi.

Prix du Jury pour American Honey  d'Andrea Arnold

 

AmericanHoney1

American Honey d’Andrea Arnold

Royaume-Uni. Avec Saha Lane, Shia LaBoeuf, Riley Keough. Durée : 2 h.43’

Interminable road-movie dans le Midwest où l’on accompagne Star,  une jeune adulte métis déterminée à ne plus subir un père abusif et à ne plus remplacer la mère de ses demi-frère et sœur. Aussi rejoint-elle une équipe de jeunes paumés démarchant des magazines de ville en ville. Repères, sentiments, valeurs, via alcools et drogue, vont à vaut l’eau sous l’œil (très) complaisant de la réalisatrice. Personne n’est adulte ni ne semble éprouver quelque compassion et porter quelque intérêt véritable à autrui, hormis peut-être Star dont l’énergie vitale demeure intacte malgré les blessures. On découvre, ici ou là, certes quelques beaux sites et (ré)entend quelques sympathiques chansons, mais tout cela ne suffit pas à faire de cette réalisation une aventure à tenter. Vu l’inexistence du scénario ou la constance des moments improvisés, l’épaisseur ou l’originalité des personnages aurait dû combler l’impression de vide et d’ennui qui se dégage après une demi-heure. N’est pas Kerouack qui veut, capable de nous emmener sur la route. (SM)

Mention du Jury oecuménique

 

 

Baccalaureat1

Baccalauréat de Christian Mungiu

Roumanie. Avec Adrian Titieni, Maria Dragus, Lia Bugnar, Malina Manovici. Durée 2 h.07’

Mungiu filme une réalité qu’il connaît, celle de la Roumanie en pleine évolution. Eliza, fille de médecin, s’apprêt à passer son bac sans problème lorsqu’elle est agressée. Cela compromet ses chances de réussite et contrecarre ses projets d’effectuer ses études universitaires en Angleterre. Aussi, bien décidé à lui permettre de réussir coûte que coûte, son père tire des ficelles, tout en traversant une crise conjugale forte. Ce fait divers donne l’occasion au réalisateur, palmé en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours, d’ausculter son pays.  Ayant cru en 1991 au changement et revenus au pays, le médecin et sa femme ont rapidement déchanté et perdu leurs illusions, d’où les compromissions auxquelles se prête aujourd’hui le père pour permettre à leur enfant d’émigrer à son tour. Mais cette dernière partage-t-elle le regard désabusé de ses parents ? Que désire-t-elle réellement : acquérir une solide formation à l’étranger ou  rester au pays auprès de sa grand-mnère et de son copain ? Les réponses à ces questions ne s’imposent pas. Autant dire que cette réalisation peu colorée en dit long sur les espoirs déçus qui toutefois n’effacent pas les rêves des plus jeunes, comme l’atteste le regard d’un enfant  qui s’arrête longuement sur une fresque qu’il découvre à l’hôpital. (SM)

Prix de la mise en scène

 

Le Client d’Asghar Fahradi Client2

France/Iran. Avec Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti. Durée :  2 h.2’

Alors qu’elle croyait ouvrir la porte à son mari, une femme laisse entrer un inconnu et est agressée dans sa douche. Pour éviter toute humiliation, le couple de comédiens n’informe pas la police et lui mène l’enquête personnellement. La force de cette réalisation se déploie lentement, mais avec grande efficacité. Elle se fonde sur la recherche de l’agresseur par le mari, relatée parallèlement à l’exposition de la pièce d’Arthur Miller, La Mort d’un commis voyageur,  que le couple interprète sur scène. Ainsi, la jeune femme traumatisée souhaite avoir constamment son mari à ses côtés, alors même que leur intimité est mise à mal. Alors, si le mari retrouve l’agresseur, comment réagira-t-il ? Pardonnera-t-il ou se vengera-t-il ? Ecoutera-t-il le responsable ou sera-t-il sourd à toute demande comme le patron de la pièce ?  Sa femme sera-t-elle à ses côtés ? Et quelle pourrait-être la réaction de la famille  du responsable ? Les non-dits, les questions d’humiliation privée et publique, la thématique de la vengeance, l’influence d’une pièce forte sur les acteurs qui l’interprètent soir après soir, tout cela fait de ce film un regard pénétrant sur l’humain et ce augmente ou dissout sa dignité. (SM)
Prix d’interprétation masculine pour Shahab Hosseini
Prix du scénario

Elle de Paul Verhoeven Elle2

France/Allemagne. Avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Charles Berling, Anne Consigny, Virginie Efira. Urée :  2h.10’

Michelle gère sa vie privée comme sa vie professionnelle, avec détermination.  Tout bascule lorsqu’elle  est violée chez elle et qu’un documentaire télévisé revient sur son père meurtrier et incarcéré. Magnifiquement incarnée par Isabelle Huper, toute de dignité et de froideur, ce film, dont le scénario est tiré de Oh… de Philippe Djian, est réglé comme du papier à musique : l’œuvre est forte, mais ne suscite guère d’émotion et au fond elle distrait sans interroger.  Jeux de pouvoir et de sexualité sont au centre de ce « je t’aime, moi non plus » où une relation trouble, étrange et malsaine  se met à unir victime et « bourreau ». Quand au sentiment religieux qui transparaît au travers de l’épouse de ce dernier, il est inconsistant, comme par hasard. Tout est froid et virtuel : travail sur des jeux informatiques, relations affectives, argent, considération… Les images rendent bien ce climat délétère où les êtres sont bien souvent pris dans des rapports de force et de séduction  d’où la vraie vie semble s’absenter. (SM)

La fille inconnue de Jean-Pierre et Luc Dardenne FilleInconnue2

Belgique/France. Avec Adèle Kaenel, Olivier Bonnaud, Jérémie Rénier, Louka Minella. Durée :   1 h.53’

Le cabinet médical est fermé depuis une heure lorsque retentit la sonnette. Ni Jenny, ni son stagiaire, auquel elle tente d’inculquer méticulosité et perfectionnisme, ne répondent. Le lendemain, Jenny apprend qu’une jeune femme a été retrouvée morte sur la berge toute proche. Apprenant qu’elle avait sonné au cabinet quelques minutes auparavant,  Jenny se voit envahie de remords.  Son sentiment de culpabilité  la conduit dès lors à enquêter sur cette inconnue. Qui était-elle ? D’où venait-elle ? Que faisait-elle là à cette heure ? Et plus encore, comment s’appelait cette femme pour laquelle Jenny loue une concession au cimetière. Bien que la police l’enjoigne à cesser ses recherches, la jeune médecin insiste. Et c’est peut-être là que plusieurs questions se posent, car Jenny ira-t-elle jusqu’à dépasser ses limites professionnelles pour découvrir l’identité d’une jeune femme ? Adèle Kaenel incarne avec conviction cette femme médecin qui  se consacre totalement à ses patients (jusqu’à renoncer à une carrière), mais qui paraît engoncée dans une terrible solitude. Olivier Bonnaud et  Jérémie Rénier sont également au générique, mais convainquent moins qu’auparavant. A final, que penser de ce scénario ? Tient-il ? Peut-être pas totalement, mais ce serait oublier que cette réalisation est simultanément une parabole à propos de milliers d’hommes et de femmes sans nom qui frappent à la porte de la vieille Europe. Cette dernière a annoncé elle aussi sa fermeture, mais il n’est pas sûr que les sentiments de culpabilité qui pourraient l’envahir la conduise à tout mettre en œuvre pour que vérité et dignité finissent par s’embrasser, quitte pour cela à renoncer à quelques règles ou régulation. (SM)

Julieta1J

ulieta de Pedro Almodovar

Espagne. Avec Emma Suarez, Adriana Ugarte, Daniel Grao, Imma Guesta. Durée : 1 h.38’

« Ton obsession emplit ma vie et la détruit », finit par écrire Julieta à sa fille Antia qu’elle n’a pas revue depuis douze ans. Mais que s’est-il passé entre ces deux femmes ?  Quel secret de famille les hante au point d’avoir scellé un épais silence ? Certes Julieta – et quelques retour en arrière en informent –  n’a pas eu la vie facile, car plusieurs événements tragiques ont ponctué et assombri son parcours, au point de sérieusement la culpabiliser et d’en contaminer tout son entourage. Mais se voir abandonnée par sa propre fille. Dans ce film où les couleurs vives contrastent avec ce qui assombrit les êtres, Aldomovar scrute les non-dits et analyse les silences, alors que les regards et les intonations en disent souvent plus que les paroles échangées. Il ne s’en tient pas à l’exposition de la culpabilité transmise familialement  - suite à la mort du père – et aux raisons qui ont pu la générer. Il va heureusement plus loin en s’interrogeant tout à la fois sur son pouvoir d’enfermement inéluctable comme sur la capacité qu’ont les êtres à en sortir et sur les conditions nécessaires pour cela. (SM)

 

The last Face de Sean Penn LastFace2

Etats-Unis. Avec Javier Bardem, Charlize Theron, Adèle Exarchopoulos, Jared Harris, Jean Reno. Durée :  2 h. 12’

Difficile de s’aimer lorsque l’on est engagé par l’ONG Médecins sans frontières. Le directeur de Médecin sans frontières et un médecin  humanitaire se rencontrent sur les terrains minés du Libéria et de la Sierra Leone en pleine guerre. Sûr qu’un tel scénario  aurait pu donner une bluette hollywoodienne moralisante. Heureusement, il n’en est rien, bien au contraire. La dure réalité est montrée sans fard ni pathos : le quotidien des civils en constant déplacement, les enfants qui assistent à l’horreur, les gestes médicaux graves exécutés dans des conditions impossibles comme celui de procéder à une césarienne en pleine jungle… Et, côté engagés, l’adrénaline causée  par l’impression d’être utile dans un temps et un lieu dangereux et importants. L’exacerbation  des perceptions et des sentiments fait que l’amour impossible que partage temporairement  la directrice et le médecin qui ne vit que par son engagement de terrain fait écho à aux situations politiques qui ne cessent de malmener les êtres. (SM)

Loving2Loving de Jeff Nichols

Etats-Unis. Avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Michael Shannon. Durée :  2 h.3’

1958, un couple, Richard et Milfred Loving, se marie dans l’Etat de Washington. A leur retour dans un comté de Virginie où ils ont décidés  de s’installer, ils sont arrêtés et se voient signifiés l’interdiction formelle de vivre conjugalement dans ledit Etat sous peine d’une peine d’incarcération très sévère. Ils sont donc forcés à s’exiler plus au nord jusqu’à ce que leur sort intéresse et soit retenu par des avocats luttant en faveur des droits civiques. Jeff Nichols évite tout pathos et s’en tient aux faits. Il la fait avec sobriété et en traite son sujet à travers le regard de Richard, taiseux et peu désireux de répondre à toutes les demandes des médias,  et celui de sa femme plus consciente du large enjeu de leur relation pour tout couple mixte. Maçon, désireux de bâtir une maison pour les siens en Virginie où ils ont leurs racines, Richard ne cesse de monter des murs : belle symbolique. Bâtir l’avenir  n’est plus simple que d’abattre, sur le plan législatif,  les murs des préjugés.  Lors d’une soirée avec son beau-frère et amis, Richard entend un proche, noir, lui dire : « Tu commences à comprendre ce que signifie être noir. » Là, tout est dit.  Ainsi va la réalité de celui,  blanc, qui fait ponctuellement face à l’injustice et de celui, noir, qui la côtoie au quotidien. Il est des combats ardus mais ô combien nécessaire, qui dépassent l’individu pour embrasser une cause plus large comme celle de démonter l’inconstitutionnalité de l’interdiction des mariages mixtes dans tel ou tel état. Ce film le rappelle avec force en une période où bien des combats restent à mener pour que toute relation soit reconnue socialement et politiquement. (SM)

Ma Loute de  Bruno Dumont MaLoute1

France. Avec Juliette Binoche, Valeria Bruni-Tedeschi, Fabrice Luchini, Jean-Luc Vincent. Durée :  2  h.2’

Eté 1910, baie de Slack, dans le Nord de la France, c’est  l’époque où les couches sociales se côtoient sans se mélanger. Une famille aisée vient passer un temps de villégiature dans cet endroit qui n’attire pas encore les foules, mais où quelques disparitions ont récemment surpris. Deux policiers, genre Dupont-Dupont mélangé à Laurel et Hardy, enquêtent et révèlent l’absurdité des cloisonnements sociaux. Tout serait convenu si l’ensemble ne glissait pas avec bonheur en direction du loufoque et du déjanté qui évoquent la bande dessinée où l’inspiration ne se borne pas aux frontières du réel. Ainsi ce film tient par un scénario où l’humour, le fantastique et le gore s’entremêlent étrangement, tout en offrant à d’excellents comédiens des rôles inattendus. FabriceLuchini marche à la manière d’Aldo Macchione – sauf lorsqu’il retrouve (volontairement) lui-même –, Juliette Binoche et Valeria Bruni-Tedeschi campent de parfaites femmes potiches dont la légèreté ne tient à pas à leur conduite. Et si l’un des jeunes comédiens apparaît tantôt en jeune fille, tantôt en adolescent, n’est-ce pas pour mieux signifier que le mélange des genres  peut déboucher sur la véritable création, susceptible d’ouvrir des pistes inédites ? Indices que les deux policiers hors pair invitent à suivre. (SM)

 

Ma’ Rosa de Brillante Mendoza MaRosa1

Philippines. Avec Jaclyn Jose, Juio Diaz, Felix Roco. Durée :  1 h. 50’

Le réalisateur philippin tourne une fois encore le même film ou presque et propose presque un documentaire sur la situation de son pays. Il livre donc un film engagé qui dénonce la corruption policière. Ma’ Rosa tient une petite boutique de rue où, en sus de babioles en tout genre,  elle vend de la drogue. Dénoncée, elle et son mari sont arrêtés et c’est à ce moment-là que la machine corruptrice se déclenche pour  le pire.  Tout est sombre, décors et visages, dans ce docu-fiction filmé caméra à l’épaule et sans recherche visuelle, à l’inverse de  John John  (2007) ou de Lola (2009). La volonté de montrer comment parents et enfants tentent de rompre la spirale de la pauvreté ne suffit pas à présenter une réalisation soignée et audacieuse.  Le film paraît ici si proche de la réalité qu’on s’interroge sur les conditions mêmes du tournage, lorsque par exemple l’hôtel de police comprend deux entrées, l’une officielle et l’autre servant aux ripoux sur lesquels  s’étend ce film où l’espoir n’est vraiment pas au rendez-vous. (SM)

Prix d’interprétation féminine à Jaclyn Jose

 

Mademoiselle de Park Chan-Wook Mademoiselle2

Corée du Sud. Avec Kim Min-Hee, Kim Tae-Ri, Ha Jung-Woo, Cho-Jin-Woong. Durée 2 h.24‘

Corée, années 30, pendant la colonisation japonaise. Désireux de s’emparer d’un héritage, un pseudo comte met en place un subtil stratagème destiné à épouser une  riche héritière légitime. Il agit avec la complicité de Sooke, la servante, de sa promise qui vit sous la coupe d’un oncle tyrannique. Après Ceci est mon sang en 2009, film de vampires et Stocker en 21013 le réalisateur coréen propose un film en costumes magnifiques, tourné dans des décors somptueux, allié à une mise en scène exemplaire.  Lorsque se resserre l’étau des roueries et des rebondissements en opposant parallèlement lectures du Marquis de Sade commandités par le vieil oncle pour quelques libidineux à de belles scènes érotiques, les jeux de miroirs se déploient dans toute leur densité. Au sein d’une société où tout semble contrôlé par les hommes, ou tout geste s’apparente à un rite et où la place de chacun voit sa place désignée par son rang et ses biens, ce film de genre crée un interstice. (SM)

MalDePierres2Mal de pierres de Nicole Garcia

France. Avec Marion Cotillard, Louis Garrel, Alex Brendemühl, Brigitte Roüan. Durée :  1 h.56’

Décidée à ne pas se laisser enfermer – au premier sens du terme –  par les siens, Gabrielle accepte d’épouser José, un ouvrier saisonnier. Souffrant de calculs rénaux, elle est envoyée en cure thermale en Suisse où elle rencontre André Sauvage, un militaire de retour d’Indochine. L’amour est au rendez-vous, mais est-il véritablement vécu ou seulement rêvé ? Avec délicatesse et sensibilité, Nicole Garcia explore l’intime d’une femme perturbé psychologiquement et incarnée avec conviction par Marion Cotillard. Toutefois, l’histoire de cette femme est aussi celle de son mari Léon Gardel) et de leur enfant. Le désir et le rêve d’une situation prend parfois une telle force que le rapport au réel s’en trouve affecté. Flashback et scènes dédoublées permettent de saisir le travail de la mémoire, dont  la fonction est d’équilibrer les êtres parfois tout en les trompant. La réalisation sobre et soignée, portée par deux solides acteurs qui, heureusement, n’est rajoutent pas, souligne cet enjeu capital. Tiré d’un roman de Milena Agus, ce film explore l’espace qui s’ouvre lorsqu’une femme veut absolument aller jusqu’au bout de son rêve et s’y lover corps et âme jusqu’à en perdre la raison. (SM)

MoiDanielBlake2Moi, Daniel Blake de Ken Loach

Royaume-Uni. Avec Dave Johns, Haylex Squires, Micky McGregor, Dylan Mc Kierman, Briana Shann. Durée.  1 h. 37’

Ken Loach aime ses personnages et il le fait le bien sentir. Retrouver un emploi, élever ses enfants en bas âge, rester digne lorsqu’on se perd ou se voit perdu dans les filets administratifs, tout cela relève du parcours du combattant. Ici tout sonne juste : situations ubuesques, dérives, espoirs et déprimes. Et même lorsque le veuf de 59 ans rencontre la jeune mère célibataire de deux enfants, c’est l’humanité qui s’invite, sans toutefois glisser vers la romance ou la description d’un monde caricatural. Rien n’est simple, aucune vision n’est simpliste, le monde ne se distingue par entre les bons et les méchants : tous les personnages sont complexes. Le réalisateur ne dénonce pas, il radiographie. Du coup, chaque pas, chaque parole, chaque geste est à sa place. L’entraide entre malmenés de l’existence n’est plus ici un vain mot, elle prend forme et visage, notamment au travers des enfants qui assistent souvent impuissants à l’humiliation de leurs proches. Ken Loach passe au scanner la société, ses services sociaux aux arcanes kafkaïens, pour que la priorité soit toujours accordée à l’humanité de tout être, capable ou non de remplir correctement un questionnaire  en ligne ou de satisfaire aux exigences – parfois surréalistes – auxquelles s’expose celui qui requiert les services dit sociaux. (SM)

Palme d’or

The Neon Demon de Nicolas Winding Refn NeonDemon1

Danemark/France. Avec Elle Fanning, Karl Glusman, Jean Malone, Keanu Reeves. Durée :  1 h. 57’.

Los Angeles, une jeune fille, toute fraîche, débarque de nulle part pour réaliser son rêve : devenir mannequin. Son ascension est fulgurante dans un milieu plus glacé que les pages des magazines luxueux qui reproduisent les photos des modèles. Jalousies et convoitises sont donc rapidement convoquées dans ce qui apparaît  en première partie (75’) comme un conte esthétique sur la beauté  naturelle, rare et exceptionnelle,  comme sur toutes les tentatives pour la (re)produire. Ainsi assiste-t-on, sur un étrange nappage musical signé Cliff Martinez, à la transformation d’un visage ou d’un corps en objet esthétique, auquel renvoient les décors aux couleurs froides dans lesquels évoluent les mannequins déshumanisés. La seconde partie, hélas, glisse, voire dérape totalement, lorsque l’allégorie rejoint le récit de vampires. Manger l’autre, boire son sang, etc., se concrétise alors sans autre dessein que de lui ravir une place bien éphémère, alors que symboliquement ils génèrent du sens, lorsqu’ils s’inscrivent dans une véritable ritualité. Ici, on en est loin, fort loin, tout devient insensé. (SM)

 

Paterson  de Jim JarmushPaterson1

Etats-Unis. Avec Adam  Driver, Golshifteh Farahani, Kara Hayward, Luis Da Silva Jr. Durée :  1 h.45’

Paterson, conducteur de bus vit dans la ville du même nom, aux côtés de Laura, artiste en devenir et de leur chien Marvin, un bouledogue anglais. Le temps s’égrène avec bonheur et sans surprise, alors que Paterson confie ses poèmes à un carnet secret, tout en songeant à William Carlos William et Allan Ginsberg qui, eux aussi, vécurent dans cette cité  aujourd’hui en décrépitude. Les jours se suivent et se ressemblent, sauf que des vers invitent à  cueillir l’instant et à lui donner une tonalité, une couleur, un son… Et du coup, ce film se mue imperceptiblement en poème du quotidien et de l’éphémère, où, sans faire grand bruit,  s’invitent l’humour et l’insolite. C’est d’ailleurs les effets de répétition, conjugués à de légers glissements qui déploie les densités d’un instant fugitif ou qui souligne le caractère unique et émouvant d’une rencontre, comme celle par exemple d’une petite fille qui elle aussi, écrit des poèmes dans un carnet personnel. (SM)

PersonalShoper1Personal Shoper d'Olivier Assayas

France. Avec Krsiten Stewart, Lars Eidinger, Sigrid Bouaziz. Durée 1 h.45’

Maureen, jeune américaine à Paris, a perdu il y a peu son frère jumeau. Depuis, elle attend quelque signe de lui et c’est pourquoi elle se rend régulièrement dans la maison où il vécut. A part cela, cette jeune femme s’occupe des d’achats vestimentaires pour une célèbre mannequin qui sera sauvagement assassinée.  Assayas  tente maladroitement de raconter simultanément deux histoires différentes. La première appartient au genre de films de fantômes et  use plus de la suggestion et de la bande-son que d’effets spéciaux démonstratifs. La seconde s’apparente au thriller glacial. Les liens entre ces deux films incomplets seraient les messages étranges  que reçoit Maureen et auxquels elle répond avec fébrilité. Mais est-ce que vingt minutes (ou même davantage ?)  de textos plein écran offrent encore un moment de cinéma ? Ou trahissent-ils que ce type d’addiction se révèle même sur grand écran ? Au final, ce film traduit davantage un phénomène de société que la réalisation renouvelante qu’on était en droit d’attendre. (SM)

Rester vertical d'Alain Guiraudie ResterVertical2

France. Avec Damien Bonnard, India Hair, Raphael Thierry. Durée :  1 h.38’

Après L’inconnu du lac, qui obtînt en 2013 un Prix de la mise en scène, Guuiraudie poursuit son accompagnement de personnages perdus au sein d’une société sans repères. Cette fois-ci, Léo, un scénariste en quête d’idée géniale, croise sur sa route solitaire Marie, bergère dans les Causses. Si la nature impose avec force sa beauté, le vent  incessant paraît ballotter de-ci delà le couple et les autres personnages qui gravitent dans ce film prétentieux. L’enfant, abandonné par sa mère, n’aidera guère son père à grandir. Sa mise à nu, suite à une agression,  est le seul moment qui revêt quelque sens, alors que la sexualité de Léo emprunte des chemins où se côtoient mort et non-sens. Maternité, paternité, inspiration, vieillesse, solitude, etc. apparaissent comme de solides thèmes, mais hélas celles et ceux qui les portent attestent d’abord leur effondrement et leur dissolution au travers de dialogues insensés – au premier sens du terme. Autant dire que le réalisateur devrait un jour s’interroger davantage sur son opposition exaspérée  entre sexualité et relation humaine forte que sur ses préférences sexuelles. (SM)

Sieranevada2Sierra Nevada de Cristi Puiu

Roumanie. Avec Mimi Branescu, Judith State, Tatiana Lekel. Durée :  2 h.53’

A Bucarest, quelques jours après l’attentat contre Charlie Hebdo et quarante jours après la mort de son père, Lary et sa famille se retrouvent pour une cérémonie de commémoration du défunt. Une telle occasion, où chacun arrive avec sa mémoire et ses attentes, se mue imperceptiblement en un temps de révélation. Peu à peu les masques tombent, on en vient à exprimer le non-dit, alors que se fait attendre le repas, sensé unir et tisser plus serrées les relations. Et puis, même si la postmodernité est à l’œuvre, les rites orthodoxes sont au rendez-vous, convoquant des paroles et des gestes auxquels se prête sans discuter chacun ou presque quand bien même le rituel paraît remonter d’un autre temps. Mort du père, attentats, rumeurs de complots explicatives, conjugalité…, tout se croise et s’entend dans ce très – trop – long huis-clos filmé, à deux trois scènes près, dans un unique appartement. Au final, ce film apparaît comme un documentaire jusqu’à installer le spectateur en membre surnuméraire de cette famille où la communication peine à unifier. (SM)

TonyErdman2Tony Erdman de Maren Ade

Allemagne. Avec Peter Simonischek, Sandra Müller, Michael Wittenborn. Durée:  2 h. 42‘

Comment un homme divorcé tente de renouer solidement avec Ines, sa fille aînée qui gravite dans les hautes sphères industrielles à Bucarest. Débarquant par surprise pour son anniversaire, ce père  va progressivement semer le trouble par sa gaucherie et son humour, tout en multipliant les gaffes (in)volontaires. Alors qu’elle croit s’être débarrassé de l’importun, voilà qu’il réapparaît déguisé en Tony Erdman, soi-disant coach de RH, déterminé plus encore à suivre sa fille dans tous ses déplacements ou presque. Où mènera l’exaspération, père et fille se découvriront-ils ? Qu’est-ce qui conduit et permet à des êtres de se mettre à nu, c’est-à-dire de révéler véritablement ce qui les habite et ce qu’ils sont au plus profond ?  Le personnage inventé par ce père facétieux permettra-il vraiment de jeter une lumière inédite sur toutes les relations, professionnelles, amoureuses, voire familiales de sa fille? Peut-être. Quoi qu’il en soit, la surprise et l’humour décapant inattendu de Tony Erdman font tout autant tomber les masques que les habits, permettant ainsi à des individus qui ne le soupçonnaient pas d’accéder à eux-mêmes. Sorte de Nicole Kidman allemande, Sandra Hüller porte ce remarquable premier film d’une grande profondeur. (SM)