50èmes Journées de Soleure

Le 06 février 2015


Comme un air du bon vieux temps…
J'ai fréquenté pour la dix-neuvième fois l’important rendez-vous des professionnels autochtones où les amoureux du septième art trouvent matière à étancher leur soif de découvertes et de connaissances. Lorsque je traverse la Kreuzackerbrücke enjambant l'Aar, avec sur la gauche le Landhaus et sur la droite la cathédrale Saint-Urs, je ressens toujours la même effervescence.

Je me laisse envahir par l’atmosphère que dégage «la plus belle ville baroque de Suisse». Cet anniversaire exhale aussi un suave parfum de nostalgie...
Lors de la 29e édition, en janvier 1994, Hans-Ulrich Schlumpf avait présenté Le congrès des pingouins, une magnifique fable de 91 minutes. Dans un rêve, un homme se transporte aux confins de l’Antarctique. Les palmipèdes noirs et blancs se réunissent pour protester contre l’insatiable cupidité et la folie destructrice des humains auxquels ils imputent les dérèglements climatiques observables partout sur le globe. Depuis cette assemblée générale, la situation s’est considérablement aggravée, au rythme des «sommets» onusiens conclus par des accords a minima jamais concrétisés…
Priorité à la «condition humaine»

Deux décennies plus tard, avec ThuleTuvalu, Matthias von Gunten, qui ne se considère pas comme un «activiste», se penche sur la «condition humaine» enThuleTuvalu3 deux lieux distants de vingt mille kilomètres. À Qaanaacq ou Thulé (Groenland), une des communes habitées parmi les plus septentrionales au monde, les femmes et les hommes se procurent nourriture et vêtements grâce à la chasse aux phoques, narvals et autres cétacés. À Tuvalu, confetti au milieu du Pacifique, avec ses vingt-six kilomètres carrés le second plus petit État après le Vatican, c’est la pêche ainsi que la culture des tubercules pulakas, noix de coco, papayes et bananes qui fournissent l’alimentation. Si l’évolution néfaste (la fonte des glaces, l’élévation du niveau de la mer…) constatée en ces deux antipodes s’intensifie, les populations devront quitter leur territoire et se contraindre à un mode d’existence contrenature.
En janvier 1998, Heidi Specogna avait frappé les esprits avec son documentaire Tupamaros. Elle y retraça l’itinéraire d’un des plus célèbres groupes de guérilleros d’Amérique latine. Parmi ceux-ci, José Alberto Mujica Cordano et son épouse Eva Lucía Topolansky. D’abord député, du 1er mars 1995 au 1er mars 2000, puis sénateur jusqu’au 28 février 2010, il devient le 29 novembre 2009, président de l'Uruguay. Il assumera son mandat jusque fin février 2015. Le couple contacta la Biennoise afin qu’elle leur consacre un second opus, qu’elle a titré Pepe Mujica - Lessons of the Flowerbed. Le chef d’État le plus atypique de l’histoire n’a jamais renoncé au travail dans les champs. Se qualifiant comme «une motte de terre sur pieds», il ne se prétend vraiment «libre» que sur son tracteur ou au milieu des massifs de fleurs.

Réfractaire aux fastes liés à sa fonction, il n’a pas déménagé de sa petite ferme à Rincon del Cerro, à une demi-heure de Montevideo. Il distribue 87% de ses émoluments (9400 euros) à des associations caritatives. Il déplore régulièrement «ladomination par une culture servant le capitalisme et non le bonheur des humains». À l’issue de son voyage officiel de trois jours (du 17 au 19 octobre 2011) à Berlin, il remercia la chancelière Angela Merkel pour avoir été transporté dans une voiture aussi spacieuse. Sous sa houlette et celle d’Eva Lucía, trois lois sociétales déterminantes ont été votées, dont celle régulant la production, la commercialisation et la consommation de marijuana, une première mondiale. Le 6 mai 2014, il signa le texte avalisé par les deux chambres. Le 20 mai prochain, cet être aussi humble qu’opiniâtre aura quatre-vingts ans, «un bon âge pour arrêter». Pourtant, il ne tiendra pas cette résolution. Semblant accro à la politique institutionnelle, il retournera sur les bancs du Sénat. Le longmétrage, applaudi frénétiquement par le public de la Reithalle et du Konzertsaal, constituera une des attractions de la 65e Berlinale (du 5 au 15 février 2015).

Jalons primordiaux

KochDer Koch (Le cuisinier) du Munichois Ralf Hüttner, basé sur le roman éponyme de Martin Suter et parsemé de remaniements scénaristiques judicieux, apparaît comme une fiction des plus goûteuses. Maravan Vilasam (Hamza Jeetooa), un des quelque quarante-trois mille tamouls du Sri Lanka réfugiés en Suisse, officie comme aide de cuisine dans le restaurant zurichois huppé de Fritz Huwyler (Jean-Pierre Cornu). Son statut précaire le condamne à des tâches subalternes. Non seulement il encaisse les railleries et brimades de son chef, Anton Fink (Christoph Gaugler), mais surtout il rêve de voler profession-nellement de ses propres ailes. Il est particulièrement féru des méthodes tirées du huitième verset ayurvédique consacré aux aphrodisiaques. Sa grand-mère Nangay (Parvathi Rajamal Krishnaiyer), gravement malade et alitée dans une clinique de la métropole limmatoise, lui avait enseigné les recettes raffinées et communiqué l’envie de se vouer à l’art culinaire. Ses employeurs le congédient parce qu’il a emprunté le rotovapeur pour concocter un savoureux dîner à sa collègue Andrea Peters (Jessica Schwarz). Très émoustillée quoique lesbienne, la serveuse a passé la nuit avec Maravan. Plus tard, elle le somme de lui avouer la composition des plats, avant de lui proposer de créer une société de catering; les deux associés régaleraient les papilles des client(-e)s tout en boostant leur libido. Un bouche-à-oreille élogieux ne tarde pas à asseoir la renommée de «Love Food». Makeda (Yrsa Daley-Ward), escort-girl cubaine et amante d’Andrea, offre des prestations spécifiques, y compris à des industriels sans scrupules comme Eric Dalmann (Hanspeter Müller-Drossaart). Ce marchand d’armes commerce avec l’armée sri-lankaise et vend des avions de combat aux «Tigres tamouls». Apprenant cela, Maravan accepte de préparer un ultime «Love menu» commandé par le vil affairiste…

Le comité organisateur plaça la section «Rencontre» dans l’optique de «L’expérience Soleure», avec un panel de quarante-trois œuvres. Certaines ont posé des jalons primordiaux quant à l’approche des thématiques et à l’agencement des images, suscitant parfois des débats houleux, voire des controverses frontales acharnées. Ainsi, Siamo italiani (1964) d’Alexander Jean-Paul Seiler, qui marqua la naissance du «nouveau cinéma suisse», Züri brennt (1980), brûlot provocateur de Thomas Krempke, Marcel Müller, Markus Sieber, Silvano Speranza, Ronnie Wahli, sur la révolte de jeunes Zurichois entre le 31 mai et le 4 septembre 1980, L'exécution du traître  la patrie Ernst S. de Richard Dindo (1975). Celui-ci s’estime «très satisfait» de son Homo Faber (Trois femmes), «mon meilleur film» dont chaque phrase émane fidèlement du livre de Max Frisch.

Dans une tonalité beaucoup plus légère, le plaisant court-métrage Jour J de Julia Bünter expose avec une pointe d’ironie des affres existentielles qui agitent Adrienne (India Hair). Avant de fêter ses trente ans, elle essaie une coupe de cheveux avec une frange et, surtout, désire avoir un orgasme avec un garçon. Elle recrute à tout va sur le site «Heater». En vain ! La tentative avec une copine (Tiphanie Bovay-Klameth) dans l’étroite cabine du camion-benne de cette dernière s’achève par un nettoyage aux kleenex et des sourires amusés. Adrienne parvient à ses fins, le lendemain de son anniversaire, avec le jeune voisin de palier (Sébastien Weber), mais pas comme elle l’avait imaginé…

René Hamm